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CHAPITRE X.

des barbares qui inondèrent l’empire sous ses successeurs, et qui trouvèrent l’Italie sans défense. Il semble qu’il ait immolé l’Occident à l’Orient. L’Italie tomba quand Constantinople s’éleva. Ce serait une étude curieuse et instructive que l’histoire politique de ces temps-là. Nous n’avons guère que des satires et des panégyriques. C’est quelquefois par les panégyriques mêmes qu’on peut trouver la vérité. Par exemple, on comble d’éloges Constantin, pour avoir fait dévorer par les bêtes féroces, dans les jeux du cirque, tous les chefs des Francs, avec tous les prisonniers qu’il avait faits dans une expédition sur le Rhin, C’est ainsi que furent traités les prédécesseurs de Clovis et de Charlemagne. Les écrivains qui ont été assez lâches pour louer des actions cruelles constatent au moins ces actions, et les lecteurs sages les jugent. Ce que nous avons de plus détaillé, sur l’histoire de cette révolution, est ce qui regarde l’établissement de l’Église et ses troubles.

Ce qu’il y a de déplorable, c’est qu’à peine la religion chrétienne fut sur le trône que la sainteté en fut profanée par des chrétiens qui se livrèrent à la soif de la vengeance, lors même que leur triomphe devait leur inspirer l’esprit de paix. Ils massacrèrent dans la Syrie et dans la Palestine tous les magistrats qui avaient sévi contre eux ; ils noyèrent la femme et la fille de Maximin ; ils firent périr dans les tourments ses fils et ses parents. Les querelles au sujet de la consubstantialité du Verbe troublèrent le monde et l’ensanglantèrent. Enfin Ammien Marcellin dit que « les chrétiens de son temps se déchiraient entre eux comme des bêtes féroces[1] ». Il y avait de grandes vertus qu’Ammien ne remarque pas : elles sont presque toujours cachées, surtout à des yeux ennemis, et les vices éclatent.

L’Église de Rome fut préservée de ces crimes et de ces malheurs ; elle ne fut d’abord ni puissante, ni souillée ; elle resta longtemps tranquille et sage au milieu d’un sénat et d’un peuple qui la méprisaient. Il y avait dans cette capitale du monde connu sept cents temples, grands ou petits, dédiés aux dieux majorum et

  1. N. B. Ces propres paroles se trouvent au livre XXII d’Ammien Marcellin, chap. v. Un misérable cuistre de collége, ex-jésuite, nommé Nonotte, auteur d’un libelle intitulé Erreurs de Voltaire, a osé soutenir que ces paroles ne sont point dans Ammien Marcellin. Il est utile qu’un calomniateur ignorant soit confondu. Nullas infestas hominibus bestias, ut sunt sibi ferales plerique christianorum, expertus. Ammien. Idem dicit Chrysostomus, homelia in Ep. Pauli ad Cor., ajoute naïvement Henri du Valois dans ses notes sur Ammien, page 301 de l’édition de 1681. (Note ajoutée dans l’édition de Kehl.)