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CHAPITRE VIII.

à faire démolir l’église cathédrale de Nicomédie, élevée vis-à-vis le palais de l’empereur. Un chrétien plus qu’indiscret déchire publiquement l’édit ; on le punit. Le feu consume quelques jours après une partie du palais de Galère ; on en accuse les chrétiens : cependant il n’y eut point de peine de mort décernée contre eux. L’édit portait qu’on brûlât leurs temples et leurs livres, qu’on privât leurs personnes de tous leurs honneurs.

Jamais Dioclétien n’avait voulu jusque-là les contraindre en matière de religion. Il avait, après sa victoire sur les Perses, donné des édits contre les manichéens attachés aux intérêts de la Perse, et secrets ennemis de l’empire romain. La seule raison d’État fut la cause de ces édits. S’ils avaient été dictés par le zèle de la religion, zèle que les conquérants ont si rarement, les chrétiens y auraient été enveloppés. Ils ne le furent pas ; ils eurent par conséquent vingt années entières sous Dioclétien même pour s’affermir, et ne furent maltraités sous lui que pendant deux années ; encore Lactance, Eusèbe, et l’empereur Constantin lui-même, imputent ces violences au seul Galère, et non à Dioclétien. Il n’est pas en effet vraisemblable qu’un homme assez philosophe pour renoncer à l’empire l’ait été assez peu pour être un persécuteur fanatique.

Dioclétien n’était à la vérité qu’un soldat de fortune ; mais c’est cela même qui prouve son extrême mérite. On ne peut juger d’un prince que par ses exploits et par ses lois. Ses actions guerrières furent grandes, et ses lois justes. C’est à lui que nous devons la loi qui annulle les contrats de vente dans lesquels il y a lésion d’outre-moitié. Il dit lui-même que l’humanité dicte cette loi, humanum est.

Il fut le père des pupilles trop négligés ; il voulut que les capitaux de leurs biens portassent intérêt.

C’est avec autant de sagesse que d’équité qu’en protégeant les mineurs il ne voulut pas que jamais ces mineurs pussent abuser de cette protection, en trompant leurs créanciers ou leurs débiteurs. Il ordonna qu’un mineur qui aurait usé de fraude serait déchu du bénéfice de la loi. Il réprima les délateurs et les usuriers. Tel est l’homme que l’ignorance se représente d’ordinaire comme un ennemi armé sans cesse contre les fidèles, et son règne comme une Saint-Barthélemy continuelle, ou comme la persécution des Albigeois. C’est ce qui est entièrement contraire à la vérité. L’ère des martyrs, qui commence à l’avènement de Dioclétien, n’aurait donc dû être datée que deux ans avant son abdication, puisqu’il ne fit aucun martyr pendant vingt ans.