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DE L’ARABIE, ET DE MAHOMET.

de l’enthousiasme. Leurs ordres étaient autant d’oracles, et leurs soldats autant de fanatiques.

Dès l’an 671, ils assiégèrent Constantinople, qui devait un jour devenir mahométane ; les divisions, presque inévitables parmi tant de chefs audacieux, n’arrêtèrent pas leurs conquêtes. Ils ressemblèrent en ce point aux anciens Romains, qui parmi leurs guerres civiles avaient subjugué l’Asie Mineure.

À mesure que les mahométans devinrent puissants, ils se polirent. Ces califes, toujours reconnus pour souverains de la religion, et, en apparence, de l’empire, par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres de si loin, tranquilles dans leur nouvelle Babylone, y font bientôt renaître les arts. Aaron-al-Raschild, contemporain de Charlemagne, plus respecté que ses prédécesseurs, et qui sut se faire obéir jusqu’en Espagne et aux Indes, ranima les sciences, fit fleurir les arts agréables et utiles, attira les gens de lettres, composa des vers, et fit succéder dans ses vastes États la politesse à la barbarie. Sous lui les Arabes, qui adoptaient déjà les chiffres indiens, les apportèrent en Europe. Nous ne connûmes, en Allemagne et en France, le cours des astres que par le moyen de ces mêmes Arabes. Le mot seul d’almanach en est encore un témoignage.

L’Almageste de Ptolémée fut alors traduit du grec en arabe par l’astronome Ben-Honaïn. Le calife Almamon fit mesurer géométriquement un degré du méridien, pour déterminer la grandeur de la terre : opération qui n’a été faite en France que plus de huit cents ans après, sous Louis XIV. Ce même astronome, Ben-Honaïn, poussa ses observations assez loin, reconnut ou que Ptolémée avait fixé la plus grande déclinaison du soleil trop au septentrion, ou que l’obliquité de l’écliptique avait changé. Il vit même que la période de trente-six mille ans, qu’on avait assignée au mouvement prétendu des étoiles fixes d’occident en orient, devait être beaucoup raccourcie.

La chimie et la médecine étaient cultivées par les Arabes. La chimie, perfectionnée aujourd’hui par nous, ne nous fut connue que par eux. Nous leur devons de nouveaux remèdes, qu’on nomme les minoratifs, plus doux et plus salutaires que ceux qui étaient auparavant en usage dans l’école d’Hippocrate et de Galien. L’algèbre fut une de leurs inventions. Ce terme le montre encore assez ; soit qu’il dérive du mot Algiabarat, soit plutôt qu’il porte le nom du fameux Arabe Geber, qui enseignait cet art dans notre viiie siècle. Enfin, dès le second siècle de Mahomet, il fallut que les chrétiens d’Occident s’instruisissent chez les musulmans.