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CHAPITRE VI.

homme persuadé. Cependant Abubéker, beau-père de Mahomet, avait vu ce prophète de bien près. Il faut qu’il ait été trompé lui-même par le prophète, ou qu’il ait été le complice d’une imposture illustre, qu’il regardait comme nécessaire. Sa place lui ordonnait d’en imposer aux hommes pendant sa vie et à sa mort.

Omar, élu après lui, fut un des plus rapides conquérants qui aient désolé la terre. Il prend d’abord Damas, célèbre par la fertilité de son territoire, par les ouvrages d’acier les meilleurs de l’univers, par ces étoffes de soie qui portent encore son nom. Il chasse de la Syrie et de la Phénicie les Grecs qu’on appelait Romains[1]. Il reçoit à composition, après un long siège, la ville de Jérusalem, presque toujours occupée par des étrangers qui se succédèrent les uns aux autres, depuis que David l’eut enlevée à ses anciens citoyens : ce qui mérite la plus grande attention, c’est qu’il laissa aux juifs et aux chrétiens, habitants de Jérusalem, une pleine liberté de conscience.

Dans le même temps, les lieutenants d’Omar s’avançaient en Perse. Le dernier des rois persans, que nous appelons Hormisdas IV, livre bataille aux Arabes, à quelques lieues de Madain, devenue la capitale de cet empire. Il perd la bataille et la vie. Les Perses passent sous la domination d’Omar, plus facilement qu’ils n’avaient subi le joug d’Alexandre.

Alors tomba cette ancienne religion des mages que le vainqueur de Darius avait respectée ; car il ne toucha jamais au culte des peuples vaincus.

Les mages, adorateurs d’un seul dieu, ennemis de tout simulacre, révéraient dans le feu, qui donne la vie à la nature, l’emblème de la Divinité. Ils regardaient leur religion comme la plus ancienne et la plus pure. La connaissance qu’ils avaient des mathématiques, de l’astronomie, et de l’histoire, augmentait leur mépris pour leurs vainqueurs, alors ignorants. Ils ne purent abandonner une religion consacrée par tant de siècles, pour une secte ennemie qui venait de naître. La plupart se retirèrent aux extrémités de la Perse et de l’Inde. C’est ici qu’ils vivent aujourd’hui, sous le nom de Gaures ou de Guèbres, de Parsis, d’Ignicoles ; ne se mariant qu’entre eux, entretenant le feu sacré, fidèles à ce qu’ils connaissent de leur ancien culte ; mais ignorants, méprisés, et, à leur pauvreté près, semblables aux Juifs si longtemps dispersés sans s’allier aux autres nations, et plus encore aux Banians, qui ne sont établis et dispersés que dans l’Inde et en Perse. Il

  1. Année 15 de l’hégire, 637 de l’ère vulgaire.