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DES BRACHMANES, DU VEIDAM, ETC.

vertu qui s’accorde avec les illusions du fanatisme. Ils reconnaissaient toujours un Dieu suprême à travers la multitude de divinités subalternes que la superstition populaire adoptait dans tous les pays du monde. Strabon dit expressément qu’au fond les brachmanes n’adoraient qu’un seul Dieu. En cela ils étaient semblables à Confucius, à Orphée, à Socrate, à Platon, à Marc-Aurèle, à Épictète, à tous les sages, à tous les hiérophantes des mystères. Les sept années de noviciat chez les brachmanes, la loi du silence pendant ces sept années, étaient en vigueur du temps de Strabon. Le célibat pendant ce temps d’épreuves, l’abstinence de la chair des animaux qui servent l’homme, étaient des lois qu’on ne transgressa jamais, et qui subsistent encore chez les brames. Ils croyaient un Dieu créateur, rémunérateur et vengeur. Ils croyaient l’homme déchu et dégénéré, et cette idée se trouve chez tous les anciens peuples. Aurea prima sata est ætas (Ovid., Mét., I, 89) est la devise de toutes les nations.

Apulée, Quinte-Curce, Clément d’Alexandrie, Philostrate, Porphyre, Pallade, s’accordent tous dans les éloges qu’ils donnent à la frugalité extrême des brachmanes, à leur vie retirée et pénitente, à leur pauvreté volontaire, à leur mépris de toutes les vanités du monde. Saint Ambroise préfère hautement leurs mœurs à celles des chrétiens de son temps. Peut-être est-ce une de ces exagérations qu’on se permet quelquefois pour faire rougir ses concitoyens de leurs désordres. On loue les brachmanes pour corriger les moines ; et si saint Ambroise avait vécu dans l’Inde, il aurait probablement loué les moines pour faire honte aux brachmanes. Mais enfin il résulte de tant de témoignages que ces hommes singuliers étaient en réputation de sainteté dans toute la terre.

Cette connaissance d’un Dieu unique, dont tous les philosophes leur savaient tant de gré, ils la conservent encore aujourd’hui au milieu des pagodes et de toutes les extravagances du peuple. Un de nos poëtes[1] a dit, dans une de ses épîtres où le faux domine presque toujours :

L’Inde aujourd’hui voit l’orgueilleux brachmane
Déifier, brutalement zélé,
Le diable même en bronze ciselé.

Certainement des hommes qui ne croient point au diable ne peuvent adorer le diable. Ces reproches absurdes sont intoléra-

  1. J.-B. Rousseau. (Note de Voltaire.)