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DES INDES.

ment la même que celle de Jupiter et d’Amphitryon ; mais elle est plus ingénieuse. Un sage découvre qui des deux est le dieu, et qui est l’homme[1]. Ces traditions montrent combien sont anciennes les paraboles qui font enfants des dieux les hommes extraordinaires. Les Grecs, dans leur mythologie, n’ont été que des disciples de l’Inde et de l’Égypte. Toutes ces fables enveloppaient autrefois un sens philosophique ; ce sens a disparu, et les fables sont restées.

L’antiquité des arts dans l’Inde a toujours été reconnue de tous les autres peuples. Nous avons encore une relation de deux voyageurs arabes, qui allèrent aux Indes et à la Chine un peu après le règne de Charlemagne, et quatre cents ans avant le célèbre Marco-Paolo. Ces Arabes prétendent avoir parlé à l’empereur de la Chine qui régnait alors ; ils rapportent que l’empereur leur dit qu’il ne comptait que cinq grands rois dans le monde, et qu’il mettait de ce nombre « le roi des éléphants et des Indiens, qu’on appelle le roi de la sagesse, parce que la sagesse vient originairement des Indes ».

J’avoue que ces deux Arabes ont rempli leurs récits de fables, comme tous les écrivains orientaux ; mais enfin il résulte que les Indiens passaient pour les premiers inventeurs des arts dans tout l’Orient, soit que l’empereur chinois ait fait cet aveu aux deux Arabes, soit qu’ils aient parlé d’eux-mêmes.

Il est indubitable que les plus anciennes théologies furent inventées chez les Indiens. Ils ont deux livres écrits, il y a environ cinq mille ans, dans leur ancienne langue sacrée, nommée le Hanscrit, ou le Sanscrit. De ces deux livres, le premier est le Shasta, et le second, le Veidam. Voici le commencement du Shasta[2] :

« L’Éternel, absorbé dans la contemplation de son existence, résolut, dans la plénitude des temps, de former des êtres partici-

  1. Voyez le Dictionnaire philosophique, au mot Ange, et surtout la Lettre à M. du M***, membre de plusieurs académies, sur plusieurs anecdotes, dans les Mélanges (année 1776).
  2. Voltaire désigne par ce mot le Code de Manou, Manava-Dharma-Sastra. Quant au passage qu’il cite, ce n’est pas, si l’on veut, le début du livre ; mais la phrase se trouve dans le commencement, si nous ne nous trompons : « Celui que l’esprit seul peut percevoir, qui échappe aux organes des sens, qui est sans parties visibles, éternel, l’âme de tous les êtres, etc., ayant résolu dans sa pensée de faire émaner de sa substance les diverses créatures…, etc. » Voilà bien ce que cite Voltaire. Pour le livre qu’il appelle le Veidam, c’est la collection des Védas, dont on connaît aujourd’hui quatre parties : le Rig-Véda, l’Yadjour-Véda, le Sama-Véda, et l’Atharva-Véda. Il y a bien des erreurs dans ce chapitre iii, mais il ne faut pas oublier que voilà cinquante ans seulement que nous avons quelques notions précises sur l’Inde. (G. A.)