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CHAPITRE  I.

des Tartares, bâtie cent trente-sept ans avant notre ère, subsiste encore dans un contour de cinq cents lieues, s’élève sur des montagnes, descend dans des précipices, ayant presque partout vingt de nos pieds de largeur, sur plus de trente de hauteur : monument supérieur aux pyramides d’Égypte, par son utilité comme par son immensité.

Ce rempart n’a pu empêcher les Tartares de profiter, dans la suite des temps, des divisions de la Chine, et de la subjuguer ; mais la constitution de l’État n’en a été ni affaiblie ni changée. Le pays des conquérants est devenu une partie de l’État conquis ; et les Tartares Mantchoux, maîtres de la Chine, n’ont fait autre chose que se soumettre, les armes à la main, aux lois du pays dont ils ont envahi le trône.

On trouve, dans le troisième livre de Confutzée, une particularité qui fait voir combien l’usage des chariots armés est ancien. De son temps, les vice-rois, ou gouverneurs de province, étaient obligés de fournir au chef de l’État, ou empereur, mille chars de guerre à quatre chevaux de front, mille quadriges. Homère, qui fleurit longtemps avant le philosophe chinois, ne parle jamais que de chars à deux ou à trois chevaux. Les Chinois avaient sans doute commencé, et étaient parvenus à se servir de quadriges ; mais, ni chez les anciens Grecs, du temps de la guerre de Troie, ni chez les Chinois, on ne voit aucun usage de la simple cavalerie. Il paraît pourtant incontestable que la méthode de combattre à cheval précéda celle des chariots. Il est marqué que les Pharaons d’Égypte avaient de la cavalerie, mais ils se servaient aussi de chars de guerre : cependant il est à croire que dans un pays fangeux, comme l’Égypte, et entrecoupé de tant de canaux, le nombre de chevaux fut toujours très-médiocre.

Quant aux finances, le revenu ordinaire de l’empereur se monte, selon les supputations les plus vraisemblables, à deux cents millions de taels d’argent fin. Il est à remarquer que le tael n’est pas précisément égal à notre once, et que l’once d’argent ne vaut pas cinq livres françaises, valeur intrinsèque, comme le dit l’histoire de la Chine, compilée par le jésuite du Halde : car il n’y a point de valeur intrinsèque numéraire ; mais deux cents millions de taels font deux cent quarante-six millions d’onces d’argent, ce qui, en mettant le marc d’argent fin à cinquante-quatre livres dix-neuf sous, revient à environ mille six cent quatre-vingt-dix millions de notre monnaie en 1768. Je dis en ce temps, car cette valeur arbitraire n’a que trop changé parmi nous, et changera peut-être encore : c’est à quoi ne prennent pas assez garde les