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DES PREMIERS PEUPLES, ETC.

Tout événement en amène un autre auquel on ne s’attendait pas. Romulus ne croyait fonder Rome ni pour les princes goths, ni pour des évêques. Alexandre n’imagina pas qu’Alexandrie appartiendrait aux Turcs, et Constantin n’avait pas bâti Constantinople pour Mahomet II.


lii. — Des premiers peuples qui écrivirent l'histoire, et des fables des premiers historiens.

Il est incontestable que les plus anciennes annales du monde sont celles de la Chine. Ces annales se suivent sans interruption. Presque toutes circonstanciées, toutes sages, sans aucun mélange de merveilleux, toutes appuyées sur des observations astronomiques depuis quatre mille cent cinquante-deux ans, elles remontent encore à plusieurs siècles au delà, sans dates précises à la vérité, mais avec cette vraisemblance qui semble approcher de la certitude. Il est bien probable que des nations puissantes, telles que les Indiens, les Égyptiens, les Chaldéens, les Syriens, qui avaient de grandes villes, avaient aussi des annales.

Les peuples errants doivent être les derniers qui aient écrit, parce qu’ils ont moins de moyens que les autres d’avoir des archives et de les conserver ; parce qu’ils ont peu de besoins, peu de lois, peu d’événements ; qu’ils ne sont occupés que d’une subsistance précaire, et qu’une tradition orale leur suffit. Une bourgade n’eut jamais d’histoire, un peuple errant encore moins, une simple ville très-rarement.

L’histoire d’une nation ne peut jamais être écrite que fort tard ; on commence par quelques registres très-sommaires qui sont conservés, autant qu’ils peuvent l’être, dans un temple ou dans une citadelle. Une guerre malheureuse détruit souvent ces annales, et il faut recommencer vingt fois, comme des fourmis dont on a foulé aux pieds l’habitation. Ce n’est qu’au bout de plusieurs siècles qu’une histoire un peu détaillée peut succéder à ces registres informes, et cette première histoire est toujours mêlée d’un faux merveilleux par lequel on veut remplacer la vérité qui manque. Ainsi les Grecs n’eurent leur Hérodote que dans la quatre-vingtième olympiade, plus de mille ans après la première époque rapportée dans les marbres de Paros. Fabius-Pictor, le plus ancien historien des Romains, n’écrivit que du temps de la seconde guerre contre Carthage, environ cinq cent quarante ans après la fondation de Rome.