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DES CONQUÊTES DES ROMAINS.

que les peuples étaient mal gouvernés, ne nous développent point ce mystère ; mais il est aisé de le deviner. Alaric avait été général d’armée sous Théodose Ier, prince violent, dévot, et imprudent, qui perdit l’empire en confiant sa défense aux Goths. Il vainquit avec eux son compétiteur, Eugène ; mais les Goths apprirent par là qu’ils pouvaient vaincre pour eux-mêmes. Théodose soudoyait Alaric et ses Goths. Cette paye devint un tribut, quand Arcadius, fils de Théodose, fut sur le trône de l’Orient. Alaric épargna donc son tributaire pour aller tomber sur Honorius et sur Rome.

Honorius avait pour général le célèbre Stilicon, le seul qui pouvait défendre l’Italie, et qui avait déjà arrêté les efforts des barbares. Honorius, sur de simples soupçons, lui fit trancher la tête sans forme de procès. Il était plus aisé d’assassiner Stilicon que de battre Alaric. Cet indigne empereur, retiré à Ravenne, laissa le barbare, qui lui était supérieur en tout, mettre le siége devant Rome. L’ancienne maîtresse du monde se racheta du pillage au prix de cinq mille livres pesant d’or, trente mille d’argent, quatre mille robes de soie, trois mille de pourpre, et trois mille livres d’épiceries. Les denrées de l’Inde servirent à la rançon de Rome.

Honorius ne voulut pas tenir le traité ; il envoya quelques troupes qu’Alaric extermina : celui-ci entra dans Rome en 409, et un Goth y créa un empereur[1] qui devint son premier sujet. L’année d’après, trompé par Honorius, il le punit en saccageant Rome. Alors tout l’empire d’Occident fut déchiré ; les habitants du Nord y pénétrèrent de tous côtés, et les empereurs d’Orient ne se maintinrent qu’en se rendant tributaires.

C’est ainsi que Théodose II le fut d’Attila. L’Italie, les Gaules, l’Espagne, l’Afrique, furent la proie de quiconque voulut y entrer. Ce fut là le fruit de la politique forcée de Constantin, qui avait transféré l’empire romain en Thrace.

N’y a-t-il pas visiblement une destinée qui fait l’accroissement et la ruine des États ? Qui aurait prédit à Auguste qu’un jour le Capitole serait occupé par un prêtre d’une religion tirée de la religion juive aurait bien étonné Auguste. Pourquoi ce prêtre s’est-il enfin emparé de la ville des Scipions et des Césars ? c’est qu’il l’a trouvée dans l’anarchie. Il s’en est rendu le maître presque sans efforts ; comme les évêques d’Allemagne, vers le xiiie siècle, devinrent souverains des peuples dont ils étaient pasteurs.

  1. Attale.