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DES PRÉJUGÉS POPULAIRES.


xlvii. — Des préjugés populaires auxquels les écrivains sacrés ont daigné se conformer par condescendance.

Les livres saints sont faits pour enseigner la morale, et non la physique.

Le serpent passait dans l’antiquité pour le plus habile de tous les animaux. L’auteur du Pentateuque veut bien dire que le serpent fut assez subtil pour séduire Ève. On attribuait quelquefois la parole aux bêtes : l’écrivain sacré fait parler le serpent et l’ânesse de Balaam. Plusieurs Juifs et plusieurs docteurs chrétiens ont regardé cette histoire comme une allégorie ; mais, soit emblème, soit réalité, elle est également respectable. Les étoiles étaient regardées comme des points dans les nuées : l’auteur divin se proportionne à cette idée vulgaire, et dit que la lune fut faite pour présider aux étoiles.

L’opinion commune était que les cieux étaient solides ; on les nommait en hébreu rakiak, mot qui répond à une plaque de métal, à un corps étendu et ferme, et que nous traduisîmes par firmament. Il portait des eaux, lesquelles se répandaient par des ouvertures. L’Écriture se proportionne à cette physique ; et enfin on a nommé firmament, c’est-à-dire plaque, cette profondeur immense de l’espace dans lequel on aperçoit à peine les étoiles les plus éloignées à l’aide des télescopes.

Les Indiens, les Chaldéens, les Persans, imaginaient que Dieu avait formé le monde en six temps. L’auteur de la Genèse, pour ne pas effaroucher la faiblesse des Juifs, représente Dieu formant le monde en six jours, quoique un mot et un instant suffisent à sa toute-puissance. Un jardin, des ombrages, étaient un très-grand bonheur dans des pays secs et brûlés du soleil ; le divin auteur place le premier homme dans un jardin.

On n’avait point l’idée d’un être purement immatériel : Dieu est toujours représenté comme un homme ; il se promène à midi dans le jardin, il parle, et on lui parle.

Le mot âme, ruah, signifie le souffle, la vie : l’âme est toujours employée pour la vie dans le Pentateuque.

On croyait qu’il y avait des nations de géants, et la Genèse veut bien dire qu’ils étaient les enfants des anges et des filles des hommes. On accordait aux brutes une espèce de raison. Dieu daigne faire alliance, après le déluge, avec les brutes comme avec les hommes.