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DES VICTIMES HUMAINES.

Les Juifs ont une loi par laquelle il leur est expressément ordonné de n’épargner aucune chose, aucun homme dévoué au Seigneur. « On ne pourra le racheter, il faut qu’il meure », dit la loi du Lévitique, au chapitre xxvii. C’est en vertu de cette loi qu’on voit Jephté immoler sa propre fille, et le prêtre Samuel couper en morceaux le roi Agag[1]. Le Pentateuque nous dit que dans le petit pays de Madian qui est environ de neuf lieues carrées, les Israélites ayant trouvé six cent soixante et quinze mille brebis, soixante et douze mille bœufs, soixante et un mille ânes, et trente-deux mille filles vierges. Moïse commanda qu’on massacrât tous les hommes, toutes les femmes, et tous les enfants, mais qu’on gardât les filles, dont trente-deux seulement furent immolées[2], Ce qu’il y a de remarquable dans ce dévouement, c’est que ce même Moïse était gendre du grand-prêtre des Madianites, Jethro, qui lui avait rendu les plus grands services, et qui l’avait comblé de bienfaits.

Le même livre nous dit que Josué, fils de Nun, ayant passé avec sa horde la rivière du Jourdain à pied sec, et ayant fait tomber au son des trompettes les murs de Jéricho dévoués à l’anathème, il fit périr tous les habitants dans les flammes ; qu’il conserva seulement Rahab la prostituée, et sa famille, qui avait

  1. Des critiques ont prétendu qu’il n’était pas sûr que Samuel fut prêtre. Mais comment, n’étant point prêtre, se serait-il arrogé le droit de sacrer Saül et David ? Si ce n’est pas en qualité de prêtre qu’il immola Agag, c’est donc on qualité d’assassin ou de bourreau. Si Samuel n’était pas prêtre, que devient l’autorité de son exemple employée tant de fois par les théologiens pour prouver que les prêtres ont le droit non-seulement de sacrer les rois, mais d’en sacrer d’autres quand ceux qu’ils ont oints les premiers ne leur conviennent plus, et même de traiter les rois indociles comme le doux Samuel a traité l’impie Agag. (K.)
  2. On a prétendu que ces trente-deux filles furent seulement destinées au service du tabernacle ; mais si on lit attentivement le livre des Nombres, où cette histoire est rapportée, on verra que le sens de M. de Voltaire est le plus naturel. Les Israélites avaient massacré tous les mâles en état de porter les armes, et n’avaient réservé que les femmes et les enfants. Moïse leur en fait des reproches violents ; il leur ordonne de sang-froid, plusieurs jours après la bataille, d’égorger les enfants mâles et toutes les femmes qui ne sont pas vierges. Après avoir commandé le meurtre, il prescrit aux meurtriers la méthode de se purifier. Il a oublié seulement de nous transmettre la manière dont les Juifs s’y prenaient pour distinguer une vierge d’une fille qui ne l’était pas. Ainsi il est clair que l’on peut, sans faire injure au caractère de Moïse, croire qu’après avoir ordonné le massacre de quarante mille, tant enfants mâles que femmes, il n’a pas hésité à ordonner le sacrifice de trente-deux filles. Comment imagine-t-on que les Juifs aient pu consacrer au service du tabernacle trente-deux filles étrangères et idolâtres ? D’ailleurs la portion des prêtres avait été réglée à part, et ils ne se seraient pas contentés de trente-deux vierges. (Voyez paragraphe xix de l’ouvrage intitulé Un Chrétien contre six Juifs, dans les Mélanges, année 1776.) (K.)