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DES VICTIMES HUMAINES.


xxxvi. — Des victimes humaines.

Les hommes auraient été trop heureux s’ils n’avaient été que trompés ; mais le temps, qui tantôt corrompt les usages et tantôt les rectifie, ayant fait couler le sang des animaux sur les autels, des prêtres, bouchers accoutumés au sang, passèrent des animaux aux hommes ; et la superstition, fille dénaturée de la religion, s’écarta de la pureté de sa mère, au point de forcer les hommes à immoler leurs propres enfants, sous prétexte qu’il fallait donner à Dieu ce qu’on avait de plus cher.

Le premier sacrifice de cette nature, dont la mémoire se soit conservée, fut celui de Jéhud chez les Phéniciens, qui, si l’on en croit les fragments de Sanchoniathon, fut immolé par son père Hillu environ deux mille ans avant notre ère. C’était un temps où les grands États étaient déjà établis, où la Syrie, la Chaldée, l’Égypte, étaient très-florissantes ; et déjà en Égypte, suivant Diodore, on immolait à Osiris les hommes roux ; Plutarque prétend qu’on les brûlait vifs. D’autres ajoutent qu’on noyait une fille dans le Nil, pour obtenir de ce fleuve un plein débordement qui ne fût ni trop fort ni trop faible.

Ces abominables holocaustes s’établirent dans presque toute la terre. Pausanias prétend que Lycaon immola le premier des victimes humaines en Grèce. Il fallait bien que cet usage fût reçu du temps de la guerre de Troie, puisque Homère fait immoler par Achille douze Troyens à l’ombre de Patrocle. Homère eût-il osé dire une chose si horrible ? n’aurait-il pas craint de révolter tous ses lecteurs, si de tels holocaustes n’avaient pas été en usage ? Tout poëte peint les mœurs de son pays.

Je ne parle pas du sacrifice d’Iphigénie, et de celui d’Idamante, fils d’Idoménée : vrais ou faux, ils prouvent l’opinion régnante. On ne peut guère révoquer en doute que les Scythes de la Tauride immolassent des étrangers.

Si nous descendons à des temps plus modernes, les Tyriens et les Carthaginois, dans les grands dangers, sacrifiaient un homme à Saturne. On en fit autant en Italie ; et les Romains eux-mêmes, qui condamnèrent ces horreurs, immolèrent deux Gaulois et deux Grecs pour expier le crime d’une vestale. Plutarque confirme cette affreuse vérité dans ses Questions sur les Romains.

Les Gaulois, les Germains, eurent cette horrible coutume. Les druides brûlaient des victimes humaines dans de grandes figures