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DES SIBYLLES CHEZ LES GRECS.

copies. La sibylle Érythrée avait tout prédit ; il en était de ses prophéties comme de celles de Nostradamus parmi nous, et l’on ne manquait pas, à chaque événement, de forger quelques vers grecs qu’on attribuait à la sibylle.

Auguste, qui craignait avec raison qu’on ne trouvât dans cette rapsodie quelques vers qui autoriseraient des conspirations, défendit, sous peine de mort, qu’aucun Romain eût chez lui des vers sibyllins : défense digne d’un tyran soupçonneux, qui conservait avec adresse un pouvoir usurpé par le crime.

Les vers sibyllins furent respectés plus que jamais quand il fut défendu de les lire. Il fallait bien qu’ils continssent la vérité, puisqu’on les cachait aux citoyens.

Virgile, dans son églogue sur la naissance de Pollion, ou de Marcellus, ou de Drusus, ne manqua pas de citer l’autorité de la sibylle de Cumes, qui avait prédit nettement que cet enfant, qui mourut bientôt après, ramènerait le siècle d’or. La sibylle Érythrée avait, disait-on alors, prophétisé aussi à Cumes. L’enfant nouveau-né, appartenant à Auguste ou à son favori, ne pouvait manquer d’être prédit par la sibylle. Les prédictions d’ailleurs ne sont jamais que pour les grands, les petits n’en valent pas la peine.

Ces oracles des sibylles étant donc toujours en très-grande réputation, les premiers chrétiens, trop emportés par un faux zèle, crurent qu’ils pouvaient forger de pareils oracles pour battre les Gentils par leurs propres armes. Hermas et saint Justin passent pour être les premiers qui eurent le malheur de soutenir cette imposture. Saint Justin cite des oracles de la sibylle de Cumes, débités par un chrétien qui avait pris le nom d’Istape, et qui prétendait que sa sibylle avait vécu du temps du déluge. Saint Clément d’Alexandrie (dans Stromates, livre VI) assure que l’apôtre saint Paul recommande dans ses Épîtres la lecture des sibylles qui ont manifestement prédit la naissance du fils de Dieu.

Il faut que cette Épître de saint Paul soit perdue, car on ne trouve ces paroles, ni rien d’approchant, dans aucune des Épîtres de saint Paul. Il courait dans ce temps-là parmi les chrétiens une infinité de livres que nous n’avons plus, comme les Prophéties de Jaldabast, celles de Seth, d’Énoch et de Cham ; la pénitence d’Adam ; l’histoire de Zacharie, père de saint Jean ; l’Évangile des Égyptiens; l’Évangile de saint Pierre, d’André, de Jacques ; l’Évangile d’Ève ; l’Apocalypse d’Adam ; les lettres de Jésus-Christ, et cent autres écrits dont il reste à peine quelques fragments ensevelis dans des livres qu’on ne lit guère.