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AVERTISSEMENT
POUR
LE MONDAIN ET LA DÉFENSE DU MONDAIN.




Ces deux ouvrages ont attiré à M. de Voltaire les reproches non-seulement des dévots, mais de plusieurs philosophes austères et respectables. Ceux des dévots ne pouvaient mériter que du mépris ; et on leur a répondu dans la Défense du Mondain. Toute prédication contre le luxe n’est qu’une insolence ridicule dans un pays où les chefs de la religion appellent leur maison un palais, et mènent dans l’opulence une vie molle et voluptueuse.

Les reproches des philosophes méritent une réponse plus grave. Toute grande société est fondée sur le droit de propriété ; elle ne peut fleurir qu’autant que les individus qui la composent sont intéressés à multiplier les productions de la terre et celles des arts, c’est-à-dire autant qu’ils peuvent compter sur la libre jouissance de ce qu’ils acquièrent par leur industrie ; sans cela les hommes, bornés au simple nécessaire, sont exposés à en manquer. D’ailleurs l’espèce humaine tend naturellement à se multiplier, puisqu’un homme et une femme qui ont de quoi se nourrir et nourrir leur famille élèveront en général un plus grand nombre d’enfants que les deux qui sont nécessaires pour les remplacer. Ainsi toute peuplade qui n’augmente point souffre, et l’on sait que dans tout pays où la culture n’augmente point, la population ne peut augmenter.

Il faut donc que les hommes puissent acquérir en propriété plus que le nécessaire, et que cette propriété soit respectée, pour que la société soit florissante. L’inégalité des fortunes, et par conséquent le luxe, y est donc utile.

On voit d’un autre côté que moins cette inégalité est grande, plus la société est heureuse. Il faut donc que les lois, en laissant à chacun la liberté d’acquérir des richesses et de jouir de celles qu’il possède, tendent à diminuer l’inégalité ; mais si elles établissent le partage égal des successions ; si elles n’étendent point trop la permission de tester ; si elles laissent au commerce, aux professions de l’industrie, toute leur liberté natuielle ; si une administration simple d’impôts rend impossibles les grandes fortunes de finance ; si aucune grande place n’est héréditaire ni lucrative, dès lors il ne peut s’établir une grande inégalité ; en sorte que l’intérêt de la prospérité publique est ici d’accord avec la raison, la nature et la justice.