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        Il transperça ce jeune homme adorable,
        De qui le sang produit encor des fleurs.
        J’admire ici toutes les profondeurs
        De cette histoire ; et j’ai peine à comprendre
        Comment un dieu pouvait ainsi pourfendre
        Un autre dieu. Çà, dites-moi, mes sœurs,
        Qu’en pensez-vous ? parlez-moi sans scrupule :
        Tuer un dieu n’est-il pas ridicule ?
            — Non, dit Climène ; et puisqu’il était né,
        C’est à mourir qu’il était destiné.
        Je le plains fort ; sa mort paraît trop prompte.
        Mais poursuivez le fil de votre conte. »
            Notre Thémire, aimant à raisonner,
        Lui répondit : « Je vais vous étonner.
        Adonis meurt ; mais Vénus la féconde[1],
        Qui peuple tout, qui fait vivre et sentir,
        Cette Vénus qui créa le Plaisir,
        Cette Vénus qui répare le monde,
        Ressuscita, sept jours après sa mort,
        Le dieu charmant dont vous plaignez le sort.
            — Bon, dit Climène, en voici bien d’une autre :
        Ma chère sœur, quelle idée est la vôtre !
        Ressusciter les gens ! je n’en crois rien.
        — Ni moi non plus, dit la belle conteuse ;
        Et l’on peut être une fille de bien
        En soupçonnant que la fable est menteuse.
        Mais tout cela se croit très-fermement
        Chez les docteurs de ma noble patrie,
        Chez les rabbins de l’antique Syrie,
        Et vers le Nil, où le peuple en dansant,
        De son Isis entonnant la louange,
        Tous les matins fait des dieux, et les mange.
        Chez tous ces gens Adonis est fêté.
        On vous l’enterre avec solennité :
        Six jours entiers l’enfer est sa demeure ;
        Il est damné tant en corps qu’en esprit.
        Dans ces six jours chacun gémit et pleure ;
        Mais le septième il ressuscite, on rit.
        Telle est, dit-on, la belle allégorie,
        Le vrai portrait de l’homme et de la vie :

  1. Imitation des premiers vers du poëme de Lucrèce. (B.)