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À lire tes écrits pleins de grâce et de sens,
Comme on boit d’un vin vieux qui rajeunit les sens.
Avec toi l’on apprend à souffrir l’indigence,
À jouir sagement d’une honnête opulence,
À vivre avec soi-même, à servir ses amis,
À se moquer un peu de ses sots ennemis,
À sortir d’une vie ou triste ou fortunée,
En rendant grâce aux dieux de nous l’avoir donnée.
Aussi lorsque mon pouls, inégal et pressé,
Faisait peur à Tronchin, près de mon lit placé ;
Quand la vieille Atropos, aux humains si sévère,
Approchait ses ciseaux de ma trame légère,
Il a vu de quel air je prenais mon congé ;
Il sait si mon esprit, mon cœur était changé.
Huber[1] me faisait rire avec ses pasquinades,
Et j’entrais dans la tombe au son de ses aubades.
Tu dus finir ainsi. Tes maximes, tes vers,
Ton esprit juste et vrai, ton mépris des enfers[2],
Tout m’assure qu’Horace est mort en honnête homme.
Le moindre citoyen mourait ainsi dans Rome.
Là, jamais on ne vit monsieur l’abbé Grisel
Ennuyer un malade au nom de l’Éternel ;
Et, fatiguant en vain ses oreilles lassées,
Troubler d’un sot effroi ses dernières pensées.
Voulant réformer tout, nous avons tout perdu.
Quoi donc ! un vil mortel, un ignorant tondu,
Au chevet de mon lit viendra, sans me connaître,
Gourmander ma faiblesse, et me parler en maître !

  1. Neveu de la célèbre Mlle  Huber, auteur de la Religion essentielle à l’homme, livre très-profond. M. Huber avait le talent de faire des portraits en caricature, et même de les faire en papier avec des ciseaux. (Note de Voltaire, 1771.)

    — « Dans l’Épître à Horace, dit Grimm, M. de Voltaire parle de M. Huber, et le cite avec M. Tronchin, pour garant de la bonne grâce avec laquelle il avait pris son parti, lorsqu’il se croyait près de sa fin. J’ai fait comparaître ces deux témoins à mon audience pour avoir communication des faits. Les deux témoins sont d’accord que le mourant faisait tant de plaisanteries, il disait tant de folies, qu’il y avait de quoi étouffer de rire. »


    Et Grimm dit encore à propos d’Huber : « Il a consacré son pinceau presque entièrement à M. de Voltaire, avec qui il vit depuis dix-huit ou vingt ans ; mais celui-ci, qui est très-enfant sur ce point, ne lui en a jamais su bon gré, et il a toujours cherché à décrier les tableaux d’Huber comme des caricatures. »

  2. On devait sans doute mépriser les enfers des païens, qui n’étaient que des fables ridicules ; mais l’auteur ne méprise pas les enfers des chrétiens, qui sont la vérité même constatée par l’Église. (Id., 1771.)