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Un vil tas de grimauds, de rimeurs subalternes,
À la cour quelquefois a trouvé des prôneurs ;
Ils font dans l’antichambre entendre leurs clameurs.
Souvent, en balayant dans une sacristie,
Ils traitent un grand roi d’hérétique et d’impie[1].
L’un dit que mes écrits, à Cramer bien vendus,
Ont fait dans mon épargne entrer cent mille écus ;
L’autre, que j’ai traité la Genèse de fable,
Que je n’aime point Dieu, mais que je crains le diable.
Soudain Fréron l’imprime ; et l’avocat Marchand[2]
Prétend que je suis mort, et fait mon testament.
Un autre moins plaisant, mais plus hardi faussaire,
Avec deux faux témoins s’en va chez un notaire,
Au mépris de la langue, au mépris de la hart,
Rédiger mon symbole en patois savoyard[3].
Ainsi lorsqu’un pauvre homme, au fond de sa chaumière,
En dépit de Tissot[4] finissait sa carrière,
On vit avec surprise une troupe de rats
Pour lui ronger les pieds se glisser dans ses draps.
Chassons loin de chez moi tous ces rats du Parnasse ;
Jouissons, écrivons, vivons, mon cher Horace.
J’ai déjà passé l’âge où ton grand protecteur,
Ayant joué son rôle en excellent acteur,
Et sentant que la mort assiégeait sa vieillesse,
Voulut qu’on l’applaudît lorsqu’il finit sa pièce.
J’ai vécu plus que toi ; mes vers dureront moins.
Mais au bord du tombeau je mettrai tous mes soins
À suivre les leçons de ta philosophie,
À mépriser la mort en savourant la vie,

  1. Parmi les calomnies dont on a régalé l’auteur, selon l’usage établi, on a imprimé dans vingt libelles qu’il avait gagné quatre ou cinq cent mille francs à vendre ses ouvrages. C’est beaucoup ; mais aussi d’autres écrivains ont assuré qu’après sa mort ses écrits n’auraient plus de débit, et cela les console. (Note de Voltaire, 1773.)
  2. Marchand, avocat de Paris, s’est amusé à faire le prétendu testament de l’auteur, et plusieurs personnes y ont été trompées. (Id., 1773.)
  3. Il y eut en effet, le 15 avril 1768, une déclaration faite par-devant notaire, d’une prétendue profession de foi que des polissons inconnus disaient avoir entendu prononcer. Les faussaires qui rédigèrent cette pièce, écrite d’un style ridicule, ne poussèrent pas leur insolence jusqu’à prétendre qu’elle fût signée par l’auteur. (Id., 1773.) — Voyez la vie de M. de Voltaire. — Voyez aussi la lettre à d’Alembert, du 24 mai 1769.
  4. Célèbre médecin de Lausanne, capitale du pays roman. (Id., 1773.)