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Insulte de Louis la mémoire immortelle.
Il croit déshonorer, dans ses obscurs écrits,
Princes, ducs, maréchaux, qui n’en ont rien appris.
Contre le vil croquant tout honnête homme éclate.
Avant que sur sa joue ou sur son omoplate
Des rois et des héros les grands noms soient vengés
Par l’empreinte des lis qu’il a tant outragés.

    des pairs régent du royaume, le parlement suivit constamment l’instabilité de ses pensées ; que le premier président de Maisons était prêt à former un parti pour le duc du Maine, quoiqu’il n’y ait jamais eu de premier président de ce nom.

    Toutes ces inepties, écrites du style d’un laquais qui veut faire le bel esprit et l’homme important, furent reçues comme elles le méritaient : on n’y prit pas garde ; mais on chercha le malheureux qui pour un peu d’argent avait tant vomi de calomnies atroces contre toute la famille royale, contre les ministres, les généraux, et les plus honnêtes gens du royaume. Le gouvernement fut assez indulgent pour se contenter de le faire enfermer dans un cachot, le 24 avril 1753. Vous m’apprenez dans votre lettre qu’il fut enfermé deux fois ; c’est ce que j’ignorais.

    Après avoir publié ces horreurs, il se signala par un autre libelle intitulé Mes Pensées, dans lequel il insulta nommément MM. d’Erlach, de Watteville, de Diesbach, de Sinner, et d’autres membres du conseil souverain de Berne, qu’il n’avait jamais vus. Il voulut ensuite en faire une nouvelle édition ; M le comte d’Erlach en écrivit en France, où La Beaumelle était pour lors ; on l’exila dans le pays des Cévennes, dont il est natif. Je ne vous parle, monsieur, que papiers sur table et preuves en main.

    Il avait outragé la maison de Saxe dans le même libelle (p. 108), et s’était enfui de Gotha avec une femme de chambre qui venait de voler sa maîtresse.

    Lorsqu’il fut en France, il demanda un certificat de Mme  la duchesse de Gotha. Cette princesse lui fit expédier celui-ci :

    « On se rappelle très-bien que vous partîtes d’ici avec la gouvernante des enfants d’une dame de Gotha, qui s’éclipsa furtivement avec vous après avoir volé sa maîtresse ; ce dont tout le public est pleinement instruit ici. Mais nous ne disons pas que vous ayez part à ce vol. À Gotha, 24 juillet 1767. Signé : Rousseau, conseiller aulique de Son Altesse Sérénissime. »

    Son Altesse eut la bonté de m’envoyer la copie de cette attestation, et m’écrivit ensuite ces propres mots, le 15 auguste 1767 : « Que vous êtes aimable d’entrer si bien dans mes vues au sujet de ce misérable La Beaumelle ! Croyez-moi, nous ne pouvons rien faire de plus sage que de l’abandonner, lui et son aventurière, etc. » Je garde les originaux de ces lettres, écrites de la main de Mme  la duchesse de Gotha. Je pourrais alléguer des choses beaucoup plus graves ; mais comme elles pourraient être trop funestes à cet homme, je m’arrête par pitié.

    Voilà une petite partie du procès bien constatée. Je vous en fais juge, monsieur, et je m’en rapporte à votre équité.

    Dans ce cloaque d’infamies, sur lequel j’ai été forcé de jeter les yeux un moment, j’ai été bien consolé par votre souvenir. Je vous souhaite du fond de mon cœur une vieillesse plus heureuse que la mienne, sous laquelle je succombe dans des souffrances continuelles.

    J’ai l’honneur d’être, etc.

    Nous n’ajouterons rien à une lettre aussi authentique et aussi décisive. Nous nous contenterons de féliciter notre auteur philosophe d’avoir pour ennemis de tels misérables. (Note de Voltaire, 1771.)