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Cette longue dispute échauffe les esprits.
Alors du plus beau feu vingt poëtes épris,
De chefs-d’œuvre sans nombre enrichissant la scène,
Sur de sublimes tons font ronfler Melpomène.

    les horreurs longues et détaillées ne sont que rebutantes. M. de Crébillon, malgré ce précepte, a risqué la coupe d’Atrée ; mais elle n’a pu réussir, à beaucoup près. Quelques esprits faux, quelques jeunes têtes qui n’ont pas réfléchi, croient que les atrocités sont le plus grand effort de l’esprit humain, et que l’horreur est ce qu’il y a de plus tragique. Elles se trompent beaucoup ; c’est tout ce qu’il y a de plus facile à trouver. Nous avons des romans inconnus, et fort au-dessous du médiocre, où l’on a rassemblé assez d’horreurs pour faire cinquante tragédies détestables. »

    Il y a bien d’autres raisons qui font voir qu’Atrée est une fort mauvaise pièce.

    1° C’est qu’elle est extrêmement mal écrite. D’abord « Atrée voit enfin renaître l’espoir et la douceur de se venger d’un traître. Les vents, qu’un dieu contraire enchaînait loin de lui, semblent exciter son courroux avec les flots ; le calme, si longtemps fatal à sa vengeance, n’est plus d’intelligence avec ses ennemis ; le soldat ne craint plus qu’un indigne repos avilisse l’honneur de ses derniers travaux. »

    Aussitôt après Atrée commande que la flotte d’Atrée se prépare à voguer loin de l’île d’Eubée : il ordonne qu’on porte à tous ses chefs ses ordres absolus ; et il dit que ce jour tant souhaité ranime dans son cœur l’espoir et la fierté.

    Cet énorme galimatias, cet assemblage de paroles vagues, oiseuses, incohérentes, qui ne disent rien, qui n’apprennent ni où l’on est, ni l’acteur qui parle, ni de qui on parle, sont insupportables à quiconque a la plus légère connaissance du théâtre et de la langue.

    Les maximes qu’Atrée débite, dès cette première scène, sont d’une extravagance qui va jusqu’au ridicule. Atrée dit :

    Je voudrais me venger, fût-ce même des dieux ;
    Du plus puissant de tous j’ai reçu la naissance ;
    Je le sens au plaisir que me fait la vengeance.

    Cette plaisanterie monstrueuse n’est-elle pas bien placée ! La Fontaine a dit en riant :

    ....Je sais que la vengeance
    Est un morceau de roi, car vous vivez en dieux.

    Mais mettre une telle raillerie sérieusement dans une tragédie, cela est bien déplacé ; et exprimer de tels sentiments sans avoir dit encore de quoi il veut se venger, cela est contre les principes du théâtre et du sens commun.

    2° Il y a bien plus : c’est que cette fureur de vengeance, au bout de vingt ans, est nécessairement de la plus grande froideur, et ne peut intéresser personne.

    3° Un homme qui jure à la première scène qu’il se vengera, et qui exécute son projet à la dernière sans aucun obstacle, ne peut jamais faire aucun effet. Il n’y a ni intrigue ni péripétie, rien qui vous tienne en suspens, rien qui vous surprenne, rien qui vous émeuve ; ce n’est qu’une atrocité longue et plate.

    4° La pièce pèche encore par un défaut plus grand, s’il est possible ; c’est un amour insipide et inutile entre un fils d’Atrée, nommé Plisthène, et Théodamie, fille de Thieste ; amour postiche qui ne sert qu’à remplir le vide de la pièce.

    5° Le style est digne de cette conduite : ce sont des répétitions continuelles du plaisir de la vengeance :

    Un ennemi ne peut pardonner une offense ;
    Il faut un terme au crime, et non à la vengeance.
    Rien ne peut arrêter mes transports furieux,
    Tout est prêt, et déjà dans mon cœur furieux