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Parmi les combattants vient un rimeur gascon[1],
Prédicant petit-maître, ami d’Aliboron[2],
Qui, pour se signaler, refait la Henriade ;
Et tandis qu’en secret chacun se persuade
De voler en vainqueur au haut du mont sacré,
On vit dans l’amertume, et l’on meurt ignoré.
La Discorde est partout, et le public s’en raille.
On se hait au Parnasse encor plus qu’à Versaille.
Grand roi, de qui les vers et l’esprit sont si doux,
Crois-moi, reste à Pékin, ne viens jamais chez nous.
Aux bords du fleuve Jaune un peuple entier t’admire ;
Tes vers seront toujours très-bons dans ton empire :
Mais gare que Paris ne flétrît tes lauriers !
Les Français sont malins et sont grands chansonniers.
Les trois rois d’Orient, que l’on voit chaque année[3],
Sur les pas d’une étoile à marcher obstinée,
Combler l’enfant Jésus des plus rares présents,
N’emportent de Paris, pour tous remercîments,
Que des couplets fort gais qu’on chante sans scrupule.
Collé dans ses refrains les tourne en ridicule.
Les voilà bien payés d’apporter un trésor !
Tout mon étonnement est de les voir encor.
Le roi, me diras-tu, de la zone cimbrique[4],
Accompagné partout de l’estime publique,
Vit Paris sans rien craindre, et régna sur les cœurs ;
On respecta son nom comme on chérit ses mœurs.
Oui ; mais cet heureux roi, qu’on aime et qu’on révère,
Se connaît en bons vers, et se garde d’en faire.

    qu’il fut ensuite abbé, puis sous-lieutenant, et se déguisa en comtesse ». (Page 62, chant III.) Le grand nombre de gens de mérite attaqués dans ce poëme nuisit à son succès ; mais la métamorphose de Fréron en âne réunit tous les suffrages. (Note de Voltaire, 1771.)

    * Il y en a dix aujourd’hui ; de troisième qu’il était, celui où l’on parle des ailes à l’envers et des aventures de Fréron est devenu le neuvième. (B.)

  1. Voyez la note sur l’épître cx à d’Alembert, page 432. (Id., 1771.)
  2. Variante :
    Prédicant huguenot, favori de Fréron.
  3. Voyez l’article Épiphanie, dans les Questions sur l’Encyclopédie. On a été dans l’habitude à Paris de faire presque tous les ans des couplets sur le voyage des trois mages ou des trois rois qui vinrent, conduits par une étoile, à Bethléem, et qui reconnurent l’enfant Jésus pour leur suzerain dans son étable, en lui offrant de l’encens, de la myrrhe, et de l’or. On appelle ces chansons des noëls, parce que c’est aux fêtes de Noël qu’on les chante. On en a fait des recueils dans lesquels on trouve des couplets extrêmement plaisants. (Id., 1771.)
  4. Le roi de Danemark, glorieusement régnant. (Id., 1771.)