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Et que d’un même ton sa muse à tout propos
Fasse danser les monts et reculer les flots.
Frédéric a plus d’art, et connaît mieux son monde ;
Il est plus varié, sa veine est plus féconde ;
Il a lu son Horace, il l’imite ; et vraiment
Ta majesté chinoise en devrait faire autant.
Je vois avec plaisir que sur notre hémisphère[1]
L’art de la poésie à l’homme est nécessaire.
Qui n’aime point les vers a l’esprit sec et lourd ;
Je ne veux point chanter aux oreilles d’un sourd :
Les vers sont en effet la musique de l’âme.
Ô toi que sur le trône un feu céleste enflamme,
Dis-moi si ce grand art dont nous sommes épris
Est aussi difficile à Pékin qu’à Paris.
Ton peuple est-il soumis à cette loi si dure
Qui veut qu’avec six pieds d’une égale mesure,
De deux alexandrins côte à côte marchants,
L’un serve pour la rime et l’autre pour le sens ?
Si bien que sans rien perdre, en bravant cet usage,
On pourrait retrancher la moitié d’un ouvrage.
Je me flatte, grand roi, que tes sujets heureux
Ne sont point opprimés sous ce joug onéreux,
Plus importun cent fois que les aides, gabelles,
Contrôle, édits nouveaux, remontrances nouvelles,
Bulle Unigenitus, billets aux confessés[2],
Et le refus d’un gîte aux chrétiens trépassés.
Parmi nous le sentier qui mène aux deux collines
Ainsi que tout le reste est parsemé d’épines.
À la Chine sans doute il n’en est pas ainsi.

    Chinois sont une colonie d’Égypte : les Égyptiens, dans le temps même de leurs hiéroglyphes, eurent un alphabet, et les Chinois n’en ont jamais eu ; les Égyptiens eurent douze signes du zodiaque empruntés mal à propos des Chaldéens, et les Chinois en eurent toujours vingt-huit : tout est différent entre ces deux peuples. Le P. Parennin réfuta pleinement cette imagination, il y a quelques années, dans ses Lettres à M. de Mairan. (Note de Voltaire, 1771.)

  1. Variante :
    Je vois avec plaisir que, de Pékin à Rome,
    L’art de la poésie est nécessaire à l’homme.
  2. Ce passage n’a guère besoin de commentaire. On sait assez quelle peine la sagesse du roi très-chrétien et du ministère a eue à calmer toutes ces querelles, aussi odieuses que ridicules. Elles ont été poussées jusqu’à refuser la sépulture aux morts. Ces horribles extravagances sont certainement inconnues à la Chine, où nous avons pourtant eu la hardiesse d’envoyer des missionnaires. (Id., 1771.)