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Qui peignez la nature, et qui l’embellissez,
Que vos Saisons m’ont plu ! que mes sens émoussés
À votre aimable voix se sentirent renaître !
Que j’aime, en vous lisant, ma retraite champêtre !
Je fais, depuis quinze ans, tout ce que vous chantez.
Dans ces champs malheureux, si longtemps désertés,
Sur les pas du Travail j’ai conduit l’Abondance ;
J’ai fait fleurir la Paix et régner l’Innocence.
Ces vignobles, ces bois, ma main les a plantés ;
Ces granges, ces hameaux désormais habités,
Ces landes, ces marais changés en pâturages,
Ces colons rassemblés, ce sont là mes ouvrages :
Ouvrages fortunés, dont le succès constant[1]
De la mode et du goût n’est jamais dépendant ;
Ouvrages plus chéris que Mérope et Zaïre,
Et que n’atteindront point les traits de la satire !
Heureux qui peut chanter les jardins et les bois,
Les charmes de l’amour, l’honneur des grands exploits,
Et, parcourant des arts la flatteuse carrière,
Aux mortels aveuglés rendre un peu de lumière !
Mais encor plus heureux qui peut, loin de la cour,
Embellir sagement son champêtre séjour,
Entendre autour de lui cent voix qui le bénissent !
De ses heureux succès quelques fripons gémissent ;
Un vil cagot mitré[2], tyran des gens de bien,
Va l’accuser en cour de n’être pas clirétien :
Le sage ministère écoute avec surprise ;
Il reconnaît Tartuffe, et rit de sa sottise.
Cependant le vieillard achève ses moissons ;

  1. Variante :
    Ouvrages fortunés, dont l’illustre Fréron,
    Le divin Patouillet, monsieur l’abbé Guyon,
    Ne pourront dans ma ferme abolir la mémoire :
    Qu’ils m’en laissent jouir, ils ont assez de gloire.
  2. On ne sait quel est le misérable brouillon dont l’auteur parle ici (note de Voltaire, 1769) ; dès que nous en serons informés, nous lui rendrons toute la justice qu’il mérite. (Id., 1771.)

    — Il s’agit ici du nommé Biord, évêque d’Annecy, lequel proposa à M. le duc de Choiseul de faire enlever M. de Voltaire de son château, attendu que sa présence empêchait Biord de faire croire la présence réelle aux Genevois. Le ministre lui répondit avec le mépris que méritaient sa sottise, son insolence et sa méchanceté. Biord croire que son nom l’emportera sur celui de l’auteur d’Alzire et de Mahomet ! un prêtre ordonner, au nom de Dieu, d’arracher un vieillard de son asile ; proposer à un ministre de violer les lois de l’humanité et celles de la nation ! (K.)