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De ces fiers charlatans aux honneurs élevés[1],
Nourris de nos travaux, de nos pleurs abreuvés :
Des Césars avilis la grandeur usurpée ;
Un prêtre au Capitole où triompha Pompée ;
Des faquins en sandale, excrément des humains,
Trempant dans notre sang leurs détestables mains ;
Cent villes à leur voix couvertes de ruines,
Et de Paris sanglant les horribles matines :
Je connais mieux que toi ces affreux monuments :
Je les ai sous ma plume exposés cinquante ans.
Mais, de ce fanatisme ennemi formidable[2],
J’ai fait adorer Dieu quand j’ai vaincu le diable.
Je distinguai toujours de la religion
Les malheurs qu’apporta la superstition.
L’Europe m’en sut gré ; vingt têtes couronnées
Daignèrent applaudir mes veilles fortunées,
Tandis que Patouillet m’injuriait en vain.
J’ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin.
On les vit opposer, par une erreur fatale,
Les abus aux abus, le scandale au scandale.
Parmi les factions ardents à se jeter,
Ils condamnaient le pape, et voulaient l’imiter.
L’Europe par eux tous fut longtemps désolée ;
Ils ont troublé la terre, et je l’ai consolée.
J’ai dit aux disputants l’un sur l’autre acharnés :
« Cessez, impertinents ; cessez, infortunés ;
Très-sots enfants de Dieu, chérissez-vous en frères.
Et ne vous mordez plus pour d’absurdes chimères. »
Les gens de bien m’ont cru : les fripons écrasés
En ont poussé des cris du sage méprisés ;
Et dans l’Europe enfin l’heureux tolérantisme
De tout esprit bien fait devient le catéchisme.
Je vois venir de loin ces temps, ces jours sereins,
Où la philosophie, éclairant les humains,
Doit les conduire en paix aux pieds du commun maître ;
Le fanatisme affreux tremblera d’y paraître :
On aura moins de dogme avec plus de vertu.

  1. Variante :
    ....à la pourpre élevés.
  2. Variante :
    Mais défenseur heureux d’un dogme respectable.