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Qu’un maudit courtisan quelquefois censura,
Du champ de la victoire allant à l’Opéra,
Recevoir des lauriers de la main d’une actrice.
Ainsi quand Richelieu revenait de Mahon
(Qu’il avait pris pourtant en dépit de l’envie[1]),
Partout sur son passage il eut la comédie ;
On lui battit des mains encor plus qu’à Clairon.

Au théâtre d’Eschyle, avant que Melpomène
Sur son cothurne altier vînt parcourir la scène,
On décernait les prix accordés aux amants.
Celui qui, dans l’année, avait pour sa maîtresse
Fait les plus beaux exploits, montré plus de tendresse,
Mieux prouvé par les faits ses nobles sentiments,
Se voyait couronné devant toute la Grèce.
Chaque belle plaidait la cause de son cœur,
De son amant aimé racontait les mérites,
Après un beau serment, dans les formes prescrites,
De ne pas dire un mot qui sentît l’orateur,
De n’exagérer rien, chose assez difficile
Aux femmes, aux amants, et même aux avocats.
On nous a conservé l’un de ces beaux débats,
Doux enfants du loisir de la Grèce tranquille.
C’était, il m’en souvient, sous l’archonte Eudamas.

Devant les Grecs charmés trois belles comparurent :
La jeune Églé, Téone, et la triste Apamis.
Les beaux esprits de Grèce au spectacle accoururent.
Ils étaient grands parleurs, et pourtant ils se turent,
Écoutant gravement, en demi-cercle assis.
Dans un nuage d’or Vénus avec son fils
Prêtait à leur dispute une oreille attentive.
La jeune Églé commence, Églé simple et naïve.
De qui la voix touchante et la douce candeur
Charmaient l’oreille et l’œil, et pénétraient au cœur.


ÉGLÉ.


Hermotime, mon père, a consacré sa vie
Aux muses, aux talents, à ces dons du génie

  1. Voyez le chapitre xxxi du Précis du siècle de Louis XV.