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Il est des temps pour tout ; et lorsqu’en mes vallées,
Qu’entoure un long amas de montagnes pelées,
De quelques malheureux ma main sèche les pleurs,
Sur la scène, à Paris, j’en fais verser peut-être ;
Dans Versaille étonné j’attendris de grands cœurs ;
Et, sans croire approcher de Racine, mon maître,
Quelquefois je peux plaire, à l’aide de Clairon.
Au fond de son bourbier je fais rentrer Fréron.
L’archidiacre Trublet prétend que je l’ennuie ;
La représaille est juste ; et je sais à propos
Confondre les pervers, et me moquer des sots.
En vain sur son crédit un délateur s’appuie ;
Sous son bonnet carré, que ma main jette à bas,
Je découvre, en riant, la tête de Midas[1].
J’honore Diderot, malgré la calomnie ;
Ma voix parle plus haut que les cris de l’envie :
Les échos des rochers qui ceignent mon désert
Répètent après moi le nom de d’Alembert.
Un philosophe est ferme, et n’a point d’artifice ;
Sans espoir et sans crainte il sait rendre justice :
Jamais adulateur, et toujours citoyen,
À son prince attaché sans lui demander rien,
Fuyant des factions les brigues ennemies
Qui se glissent parfois dans nos académies,
Sans aimer Loyola, condamnant saint Médard[2],
Des billets qu’on exige il se rit à l’écart,
Et laisse aux parlements à réprimer l’Église ;
Il s’élève à son Dieu, quand il foule à ses pieds
Un fatras dégoûtant d’arguments décriés ;
Et son âme inflexible au vrai seul est soumise.
C’est ainsi qu’on peut vivre à l’ombre de ses bois,
En guerre avec les sots, en paix avec soi-même,
Gouvernant d’une main le soc de Triptolème,
Et de l’autre essayant d’accorder sous ses doigts
La lyre de Racine et le luth de Chapelle.
Ô vous, à l’amitié dans tous les temps fidèle,

  1. Ce trait porte contre l’avocat général Omer Joly de Fleury ; voyez la lettre à d’Alembert, du 19 juin 1761. (B.)
  2. Voyez les notes sur les convulsions et sur les billets de confession, deux ridicules et opprobres de la France, à la fin de la pièce intitulée le Pauvre Diable, dans le présent volume. (Note de Voltaire, 1771.)