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Au sourcil noir, à l’œil noir, au teint gris,
Bel esprit faux[1] qui hait les bons esprits,
Fou sérieux que le bon sens irrite,
Écho des sots, trompette des pervers,
En prose dure insulte les beaux vers,
Poursuit le sage, et noircit le mérite.
Mais écoutez ces pieux loups-garous,
Persécuteurs de l’art des Euripides,
Qui vont hurlant en phrases insipides
Contre la scène, et même contre vous.
Quand vos talents entraînent au théâtre
Un peuple entier, de votre art idolâtre,
Et font valoir quelque ouvrage nouveau,
Un possédé, dans le fond d’un tonneau[2]
Qu’on coupe en deux, et qu’un vieux dais surmonte,
Crie au scandale, à l’horreur, à la honte,
Et vous dépeint au public abusé
Comme un démon en fille déguisé.
Ainsi toujours, unissant les contraires,
Nos chers Français, dans leurs têtes légères[3],
Que tous les vents font tourner à leur gré,
Vont diffamer ce qu’ils ont admiré.
Ô mes amis ! raisonnez, je vous prie ;
Un mot suffit. Si cet art est impie,
Sans répugnance il le faut abjurer ;
S’il ne l’est pas, il le faut honorer.

    Ne souillons pas de leurs hideux portraits
    Les doux crayons qui dessinent vos traits
    Belle Clairon, toutes ces barbaries
    Sont des objets à vos yeux inconnus ;
    Et quand on parle à Minerve, à Vénus,
    Faut-il nommer Cerbère et les Furies ?
    Autre variante :
    Un petit singe, ignorant, indocile,
    Au sourcil noir, au long et noir habit,
    Plus noir encore et de cœur et d’esprit,
    Répand sur moi ses phrases et sa bile ;
    En grimaçant, le monstre s’applaudit
    D’être à la fois et Thersite et Zoïle :
    Mais, grâce au ciel, etc.

  1. L’abbé Guyon et ses semblables. (Note de Voltaire.) — Voltaire, dans sa lettre du 2 février 1761, dit que cette note est de son correspondant à Paris, mais que d’autres prétendent qu’il fallait un autre nom. (B.)
  2. L’auteur anglais a sans doute en vue les chaires des presbytériens. (Note de Voltaire, 1764.)
  3. Le traducteur transporte toujours la scène à Paris. (Id., 1764.)