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Et tes honneurs et tes faisceaux,
Venise te conserve, et Gênes t’a reprise.
Tout à côté du trône à Stockholm on t’a mise ;
Un si beau voisinage est souvent dangereux.
Préside à tout état où la loi t’autorise,
Et reste-s-y, si tu le peux.
Ne va plus, sous les noms et de Ligue et de Fronde,
Protectrice funeste en nouveautés féconde,
Troubler les jours brillants d’un peuple de vainqueurs,
Gouverné par les lois, plus encor par les mœurs ;
Il chérit la grandeur suprême :
Qu’a-t-il besoin de tes faveurs
Quand son joug est si doux qu’on le prend pour toi-même ?
Dans le vaste Orient ton sort n’est pas si beau.
Aux murs de Constantin, tremblante et consternée,
Sous les pieds d’un vizir tu languis enchaînée
Entre le sabre et le cordeau.
Chez tous les Levantins tu perdis ton chapeau.
Que celui du grand Tell[1] orne en ces lieux ta tête !
Descends dans mes foyers en tes beaux jours de fête.
Viens m’y faire un destin nouveau.
Embellis ma retraite, où l’Amitié t’appelle ;
Sur de simples gazons viens t’asseoir avec elle.
Elle fuit comme toi les vanités des cours,
Les cabales du monde et son règne frivole[2].
Ô deux divinités ! vous êtes mon recours.
L’une élève mon âme, et l’autre la console :
Présidez à mes derniers jours[3] !



  1. L’auteur de la liberté helvétique. (Note de Voltaire, 1756.)
  2. Voltaire rendait ici hommage à sa nièce, Mme Denis, qui avait consenti, non sans peine, à le suivre dans sa retraite. Voyez la lettre à d’Argental, du 23 juin 1755.
  3. L’épître à Desmahis, qui vient ordinairement après celle-ci, se trouve dans la Correspondance, lettre du 24 juillet 1756.