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En le pinçant : « Ah ! Robert, dormez-vous ?
Charmant ingrat, cher et cruel époux,
Je suis rendue, hâtez-vous de vous rendre ;
De ma pudeur les timides accents
Sont subjugués par la voix de mes sens.
Régnez sur eux ainsi que sur mon âme ;
Je meurs, je meurs ! ciel ! à quoi réduis-tu
Mon naturel qui combat ma vertu ?
Je me dissous, je brûle, je me pâme,
Ah ! le plaisir m’enivre malgré moi ;
Je n’en peux plus, faut-il mourir sans toi ?
Va, je le mets dessus ta conscience. »
Robert avait un fonds de complaisance,
Et de candeur, et de religion ;
De son épouse il eut compassion.
« Hélas ! dit-il, j’aurais voulu, madame,
Par mon ardeur égaler votre flamme ;
Mais que pourrai-je ! — Allez, vous pourrez tout,
Reprit la vieille ; il n’est rien à votre âge
Dont un grand cœur enfin ne vienne à bout,
Avec des soins, de l’art, et du courage.
Songez combien les dames de la cour
Célébreront ce prodige d’amour.
Je vous parais peut-être dégoûtante,
Un peu ridée, et même un peu puante ;
Cela n’est rien pour des héros bien nés :
Fermez les yeux, et bouchez-vous le nez. »
Le chevalier, amoureux de la gloire,
Voulut enfin tenter cette victoire :
Il obéit, et, se piquant d’honneur,
N’écoutant plus que sa rare valeur,
Aidé du ciel, trouvant dans sa jeunesse
Ce qui tient lieu de beauté, de tendresse,
Fermant les yeux, se mit à son devoir.
« C’en est assez, lui dit sa tendre épouse ;
J’ai vu de vous ce que j’ai voulu voir :
Sur votre cœur j’ai connu mon pouvoir ;
De ce pouvoir ma gloire était jalouse.
J’avais raison : convenez-en, mon fils :
Femme toujours est maîtresse au logis.
Ce qu’à jamais, Robert, je vous demande,
C’est qu’à mes soins vous vous laissiez guider :