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Que si le ciel à mes chastes désirs
N’accorde pas le bonheur d’être mère,
L’hymen encore offre d’autres plaisirs :
Les fleurs du moins sans les fruits peuvent plaire.
On me verra, jusqu’à mon dernier jour,
Cueillir les fleurs de l’arbre de l’amour. »
La décrépite, en parlant de la sorte,
Charma le cœur des dames du palais :
On adjugea Robert à ses attraits.
De son serment la sainteté l’emporte
Sur son dégoût. La dame encor voulut
Être, à cheval, entre ses bras menée
À sa chaumière, où ce noble hyménée
Doit s’achever dans la même journée ;
Et tout fut fait comme à la vieille il plut.
Le cavalier sur son coursier remonte,
Prend tristement sa femme entre ses bras,
Saisi d’horreur, et rougissant de honte,
Tenté cent fois de la jeter à bas,
De la noyer ; mais il ne le fit pas :
Tant des devoirs de la chevalerie
La loi sacrée était alors chérie.
Sa tendre épouse, en trottant avec lui,
S’étudiait à charmer son ennui,
Lui rappelait les exploits de sa race,
Lui racontait comment le grand Clovis
Assassina trois rois de ses amis,
Comment du ciel il mérita la grâce.
Elle avait vu le beau pigeon béni
Du haut des cieux apportant à Remi
L’ampoule sainte et le céleste chrême
Dont ce grand roi fut oint dans son baptême.
Elle mêlait à ses narrations
Des sentiments et des réflexions,
Des traits d’esprit et de morale pure,
Qui, sans couper le fil de l’aventure,
Faisaient penser l’auditeur attentif,
Et l’instruisaient, mais sans l’air instructif.
Le bon Robert, à toutes ces merveilles,
Le cœur ému, prêtait ses deux oreilles,
Tout délecté quand sa femme parlait,
Prêt à mourir quand il la regardait.