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Caumartin porte en son cerveau
De son temps l’histoire vivante ;
Caumartin est toujours nouveau
À mon oreille qu’il enchante ;
Car dans sa tête sont écrits
Et tous les faits et tous les dits
Des grands hommes, des beaux esprits ;
Mille charmantes bagatelles,
Des chansons vieilles et nouvelles,
Et les annales immortelles
Des ridicules de Paris[1].
Château Saint-Ange, aimable asile,
Heureux qui dans ton sein tranquille
D’un carême passe le cours !
Château que jadis les Amours
Bâtirent d’une main habile
Pour un prince qui fut toujours
À leur voix un peu trop docile,
Et dont ils filèrent les jours !
Des courtisans fuyant la presse,
C’est chez toi que François Premier
Entendait quelquefois la messe,
Et quelquefois par le grenier
Rendait visite à sa maîtresse.
De ce pays les citadins
Disent tous que dans les jardins
On voit encor son ombre fière
Deviser sous des marronniers
Avec Diane de Poitiers,
Ou bien la belle Ferronière.
Moi chétif, cette nuit dernière,
Je l’ai vu couvert de lauriers ;
Car les héros les plus insignes
Se laissent voir très-volontiers
À nous, faiseurs de vers indignes.
Il ne traînait point après lui
L’or et l’argent de cent provinces,
Superbe et tyrannique appui
De la vanité des grands princes ;

  1. C’est ce Caumartin qui donna à Voltaire nombre d’anecdotes sur Henri IV et sur Louis XIV, pour son poëme et pour son histoire. ( G. A.)