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Tu pars, et je te vois, loin de ce doux rivage,
Voler en un clin d’œil aux lieux de ton bailliage !
C’est ainsi que les dieux qu’Homère a tant prônés
Fendaient les vastes airs de leur course étonnés,
Et les fougueux chevaux du fier dieu de la guerre
Franchissaient en deux sauts la moitié de la terre.
Ces grands dieux toutefois, à ne déguiser rien,
N’avaient point dans la Grèce un château comme Enghien ;
Et leurs divins coursiers, regorgeant d’ambrosie,
Ma foi, ne valaient pas tes chevaux d’Italie.
Que fais-tu cependant dans ces climats amis
Qu’à tes soins vigilants l’empereur a commis ?
Vas-tu, de tes désirs portant partout l’offrande,
Séduire la pudeur d’une jeune Flamande,
Qui, tout en rougissant, acceptera l’honneur
Des amours indiscrets de son cher gouverneur ?
La paix offre un champ libre à tes exploits lubriques :
Va remplir de cocus les campagnes belgiques,
Et fais-moi des bâtards où tes vaillantes mains
Dans nos derniers combats firent tant d’orphelins.
Mais quitte aussi bientôt, si la France te tente,
Des tetons du Brabant la chair flasque et tremblante,
Et, conduit par Momus et porté par les Ris,
Accours, vole, et reviens t’enivrer à Paris.
Ton salon est tout prêt, tes amis te demandent ;
Du défunt Rothelin les pénates t’attendent.
Viens voir le doux La Faye aussi fin que courtois.
Le conteur Lasseré, Matignon le sournois,
Courcillon, qui toujours du théâtre dispose,
Courcillon, dont ma plume a fait l’apothéose[1],
Courcillon qui se gâte, et qui, si je m’en croi,
Pourrait bien quelque jour être indigne de toi.
Ah ! s’il allait quitter la débauche et la table,
S’il était assez fou pour être raisonnable,
Il se perdrait, grands dieux ! Ah ! cher duc, aujourd’hui
Si tu ne viens pour toi, viens par pitié pour lui !
Viens le sauver : dis-lui qu’il s’égare et s’oublie,
Qu’il ne peut être bon qu’à force de folie,
Et, pour tout dire enfin, remets-le dans tes fers.

  1. Voyez le conte intitulé l’Anti-Giton, tome IX, page 561.