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194 L.V TACTIQUE.

pillage, point de massacre, point d'esclavage, comme du temps des Vluns, des Alains, des Visigoths, des Francs,

Le duc de Marlborough faisait garder très-soigneusement tous les domaines de ce Fénelon, archevêque de Cambrai, citoyen do toute l'Europe par son amour du genre humain ; amour plus dangereux peut-être à sa cour que son amour de Dieu.

Quand les Français eurent remporté la célèbre victoire do Fontenoy, tous les habitants de Tournai et des environs s'empressèrent de loger chez eux les prison- niers blesses ; tous eurent soin d'eux comme de leurs frères, et les femmes prodi- guèrent tant de délicatesses sur leurs tables que les médecins et les chirurgiens furent obligés de modérer cet excès de zèle, devenu dangereux.

A Rosbai h, on vit le roi de Prusse lui-même acheter tout le linge d'im château voisin pour le service de nos blesses ; et quand il les eut fait guérir, il les renvoya sur leur parole, en disant : « Je ne puis m'accoutumer à verser le sang des Fran- çais. »

Quelle humanité, quelle belle âme le prince héréditaire de Brunswick ne déploya- t-il pas, lorsqu'il reçut prisonnier à Crevelt ce comte de Gisors, ce fils du maiéchal de Bellc-Isle, cet espoir du royaume, ce jeune homme si valeureux, si instruit, si aimable ! Le prince de Brunswick ne sortit point d'auprès de son lit, et le baigna de larmes, en le voyant expirer entre ses bras. 11 pleurait celui des Français auquel il ressemblait davantage.

Portons nos reg-irds chez cette nation nouvelle qui naît tout d'un coup pour être l'émule dos plus policées, et l'exemple des autres. Voyons un comte Alexis Orlof prendre un vaisseau turc chargé des femmes, des esclaves, des meubles, de l'or, de l'argent, des bijoux, du plus riche hacha de la Turquie, et lui renvoyer tout à Consiantinople. Ce même hacha, quelque temps après, commando un corps d'armée contre les Russes ; il s'avance hors des rangs avec un interprète, et demande à parler : « Avez-vous, dit-il, à votre tête un comte Orlof? — Non; que lui voudriez-vous ? — Me jeter à ses pieds, » répliqua le Turc.

Pouvons-nous rien ajouter à ces traits, sinon l'accueil, les attentions nobles et délicates, les fêtes, les présents, les bienfaits, que reçurent les prisonniers turcs dans Pctersbourg, d'une impératrice qui leur enseignait la guerre, la politesse, et la générosité?

Nous ne voyons point de telles leçons dans Grotius. Il vous dit bien, dans son chapitre du Droit de ravager, que les Juifs étaient obliges de ravager au nom du Seigneur; mais il ne trouve chez le peuple saint aucun trait qui ressemble aux exemples profanes que nous venons de rapporter.

Voilà donc le dictamc que l'humanitc des grands cœurs répand sur les maux que fait la guerre: mais ces consolations divines nous démontrent que la guerre est infernale. {Note de Voltaire, 1775.)

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