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[34] LES SYSTÈMES. I6<»

Descartos prit sa place avec quelque fracas, Cherchant un tourbillon qu'il ne rencontrait pas, El le front tout poudreux de matière subtile, N'ayant jamais rien lu, pas même l'Évangile :

« Seigneur, dit-il à Dieu, ce bonhomme Thomas ', Du rêveur Aristote a trop suivi les pas. Voici mon argument, qui me semble invincible : Pour être, c'est assez que vous soyez possible -. Quant à votre univers, il est fort imposant : Mais, ([uand il vous plaira, j'en ferai tout autant "; Et je puis vous former, d'un morceau de matière. Éléments, animaux, tourbillons, et lumière. Lorsque du mouvement je saurai mieux les lois. » Dieu sourit de pitié pour la seconde fois.

L'incertain Gassendi, ce bon prêtre de Digne,

1. Variante :

, Votre bon saint Thomas.

2. Voici où est, ce me semble, le défaut de cet argument ingénieux de Des- cartes Je conclus l'existence de l'i^trc nécessaire et éternel, de ce que j'ai aperçu chirement que quelque chose existe nécessairement et de toute éternité; sans quoi il y aurait quelque chose qui aurait été produit du néant et sans cause, ce qui est absurde : donc un être a existé toujours nécessairement, et de lui-même. J'ai donc conclu son existence de l'impossibilité qu'il ne soit pas, et non de la possibilité qu'il soit : cela est délicat, et devient plus délicat encore quand on ose sonder la nature de cet Être éternel et nécessaire. Il faut avouer que tous ces raisonnements abstraits sont assez inutiles, puisque la plupart des tètes ne les comprennent pas. 11 serait assurément d'une horrible injustice, et d'un énorme ridicule, de faire dépendre le bonheur et le malheur éternel du genre humain de quelques arguments que les neuf dixièmes des hommes ne sont pas en état de comprendre. C'est à quoi ne prendront pas garde tant de scolastiques orgueilleux et peu sensés qui osent enseigner et menacer. Quand un philosophe serait le maître du mondes encore devrait-il proposer ses opinions modestement; c'est ainsi qu'en usait Marc-Aurèle, et même Julien. Quelle différence de ces grands hommes à Garasse, à Konotte, à l'abbé Guyon, à l'auteur de la Gazette ecclé- siastique, à Paulian l'ex-jésuite, et à tant d'autres polissons ! {Note de M. de Morza, 1772.)

3. Donnez-moi de la matière et du, mouvement, et je ferai un monde. Ces paroles de Descartes sont un peu téméraires; elles n'auraient pas été permises à Platon. Passe qu'Archimède ait dit : Donnez-moi un point fixe dans le ciel, et j'en- lèverai la terre; il ne s'agissait plus que de ti-ouver le levier. Mais qu'avec de la matière et du mouvement on fasse des organes sentants et des têtes pensantes, sitôt que Dieu y aura mis une âme, cela est bien fort- Je doute même que Des- cartes et le P. Mersenne ensemble eussent pu donner à la matière la gravitation vers un centre. Après tout, Descartes avait de la matière et du mouvement; nous n'en manquons pas. Que ne travaillait-il ? Que ne faisait-il un petit automate de monde? Avouons que dans toutes ces imaginations on ne voit que des enfants qui se jouent. {Id., 1772.)

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