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infidèle est damné, quelles que soient ses vertus et l’innocence de sa vie. Ce n’est point là une opinion théologique indifférente. Il importe au repos de l’humanité de persuader à tous les hommes qu’un Dieu, leur père commun, récompense la vertu, indépendamment de la croyance, et qu’il ne punit que les méchants.

Cette opinion de la nécessité de croire certains dogmes pour n’être point damné, et d’un supplice éternel réservé à ceux qui les ont niés ou même ignorés, est le premier fondement du fanatisme et de l’intolérance. Tout non-conformiste devient un ennemi de Dieu et de notre salut. Il est raisonnable, presque humain, de brûler un hérétique, et d’ajouter quelques heures de plus à un supplice éternel, plutôt que de s’exposer soi et sa famille à être précipités par les séductions de cet impie dans les bûchers éternels.

C’est à cette seule opinion qu’on peut attribuer l’abominable usage de brûler les hommes vivants ; usage qui, à la honte de notre siècle, subsiste encore dans les pays catholiques de l’Europe, excepté dans les États de la famille impériale. Heureusement cette opinion est aussi ridicule qu’atroce, et plus injurieuse à la Divinité que tous les contes des païens sur les aventures galantes des dieux immortels. Aussi, parmi ceux qui sont intéressés au maintien de la théologie, les gens raisonnables voudraient-ils qu’on abandonnât ce prétendu dogme, comme celui de la création du monde il y a juste six mille ans.

On suivrait la même marche à mesure que certains dogmes deviendraient trop révoltants, ou trop clairement absurdes; et au bout d’un certain temps on soutiendrait qu’on ne les a jamais regardés comme articles de foi. Cela est arrivé déjà plus d’une fois, et l’Église s’en est bien trouvée.

Il est juste d’observer ici que Riballier, syndic de Sorbonne, dont on parle dans cette satire, est un homme de mœurs douces, assez tolérant, qui céda malgré lui, dans cette circonstance, au délire théologique de ses confrères. Il avait à se faire pardonner sa modération à l’égard des jansénistes ; et, pour l’expier^ il se mit à persécuter un peu les gens raisonnables.

K.