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116 LA VANITÉ. [u]

Des plaisants de Paris j'ai senti la malice ;

Je vais me plaindre au roi, qui me rendra justice ;

Sans doute il punira ces ris audacieux.

— Va, le roi n"a point lu ton discours ennuyeux.

Il a trop peu de temps, et trop de soins à prendre :

Son peuple à soulager, ses amis à défendre,

La guerre à soutenir ; en un mot, les bourgeois

Doivent très-rarement importuner les rois.

La cour te croira fou : reste chez toi, bonhomme'.

— Non, je n'y puis tenir; de brocards on m'assomme. Les quand, les qui, les quoi, pleuvant de tous côtés-, Sifflent à mon oreille, en cent lieux répétés.

On méprise à Paris mes chansons judaïques, Et mon Pater anglais 3, et mes rimes tragiques. Et ma prose aux Quarante ! Un tel renversement D'un État policé détruit le fondement : L'intérêt du public se joint à ma vengeance; Je prétends des plaisants réprimer la licence. Pour trouver bons mes vers il faut faire une loi ; Et de ce même pas je vais parler au roi. »

Ainsi, nouveau venu, sur les rives de Seine, Tout rempli de lui-même, un pauvre énergumène De son plaisant délire amusait les passants. Souvent notre amour-propre éteint notre bon sens ; Souvent nous ressemblons aux grenouilles d'Homère, Implorant à grands cris le fier dieu de la guerre,

1. Voltaire avait écrit à Marmontel, à propos de son Bilisaire condamné par le Parlement, une lettre dans laquelle il disait que, s'il était à Paris, il irait avec l'Académie demander justice au roi (7 auguste 17G7). Cogé, coge pecus comme l'appelait Voltaire, lui retourna très-finement ces trois vers.

2. Ce sont de petites feuilles volantes qui coururent dans Paris vers ce temps- là. {Note de Voltaire, 1111.)

3. C'est la prière de Pope, connue sous le nom de Prière du déiste. Il est vrai qu'elle n'était pas chrétienne, mais elle était universelle. On ne s'en scandalisa point à Londres, non-seulement parce qu'on permet beaucoup de choses aux poètes, mais parce qu'on était las de persécuter Pope, et surtout parce qu'il se trouve en Angleterre beaucoup plus de philosophes que de persécuteurs.

M. Lefranc de Pompignan la traduisit en vers français; mais après l'avoir tra- duite, il ne devait pas insulter tous les gens de lettres de Paris, dans son discours de réception à l'Académie française. Il pouvait faire sa cour sans insulter ses con- frères. Ce discours fut la source de quantité d'épigrammes, do chansons, et de pe- tites pièces de vers, dont aucune ne touche à l'honneur, et qui n'empêchent pas, comme on l'a déjà dit ailleurs, que l'homme qui s'était attiré cette querelle ne pût avoir beaucoup de mérite. {Id., 1771.) — Le ailleurs dont il s'agit dans cette note est une des notes du Pauvre Diable; voyez note 3 de la page 104. (B.)

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