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DÉFENSE DU MONDAIN

OU

L’APOLOGIE DU LUXE[1]

(1737)

 
À table hier, par un triste hasard,
J’étais assis près d’un maître cafard,
Lequel me dit : « Vous avez bien la mine
D’aller un jour échauffer la cuisine
De Lucifer ; et moi, prédestiné,
Je rirai bien quand vous serez damné.[2]
— Damné ! comment ? pourquoi ? — Pour vos folies.
Vous avez dit en vos œuvres non pies,
Dans certain conte en rimes barbouillé,
Qu’au paradis Adam était mouillé
Lorsqu’il pleuvait sur notre premier père ;
Qu’Ève avec lui buvait de belle eau claire ;
Qu’ils avaient même, avant d’être déchus,
La peau tannée et les ongles crochus.
Vous avancez, dans votre folle ivresse,
Prêchant le luxe, et vantant la mollesse,
Qu’il vaut bien mieux (ô blasphèmes maudits !)
Vivre à présent qu’avoir vécu jadis.
Par quoi, mon fils, votre muse pollue
Sera rôtie, et c’est chose conclue. »

  1. Dans sa lettre à Frédéric, de janvier 1737, Voltaire lui annonce le prochain envoi de la Défense du Mondain. Mais si les vers sur Colbert furent, comme on l’a dit (voyez page 83) la cause des persécutions que Voltaire eut à essuyer, la Défense du Mondain devait être composée dès décembre 1736. (B.)
  2. Voltaire, dans son Avertissement mis en tête de l’Éloge et Pensées de Pascal, 1778, in-8o, raconte ce qui suit : « Je me souviens, dit-il, que le jésuite Buffier, qui venait quelquefois chez le dernier président de Maisons, mort trop jeune, y ayant rencontré un des plus rudes jansénistes, lui dit : Et ego in interitu vestro ridebo vos et subsannabo. Le jeune Maisons, qui étudiait alors Térence, lui demanda si ce passage était des Adelphes, ou de l’Eunuque. « Non, dit Buffier, c’est la Sagesse « elle-même qui parle ainsi dans son premier chapitre des PROVERBES. » (B.)