Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.


XLIX.


BETTINELLI AUX DÉLICES[1].

1758.

Ceux qui ne sont pas étrangers à la littérature italienne connaissent au moins le nom du Père Xaverio Bettinelli[2], religieux servite de Vérone, l’un des meilleurs poètes et des critiques les plus distingués que l’Italie ait produits dans ces derniers temps. Il a commencé sa carrière poétique par des tragédies, des poëmes et d’autres écrits d’une certaine étendue ; et il l’a terminée par des épigrammes et de petites pièces fugitives : ce qui n’est pas la marche ordinaire du talent. Il a pensé sans doute que la jeunesse était plus propre aux grands ouvrages, où l’esprit a toute sa force et où le talent est soutenu par l’amour et l’espérance de la gloire ; que dans la vieillesse, au contraire, il fallait travailler pour son amusement, et jouir à son aise de la facilité acquise par une longue expérience. Chacun, à cet égard, peut voir à sa manière et se conduire suivant son goût.

Il vient de me tomber entre les mains un des derniers ouvrages de cet écrivain, intitulé Lettere à Lesbia Cedonia, del Diodoro Delfico, etc. Lettres à Lesbia Cedonia sur les épigrammes[3], petit in-8° imprimé à Bassano, en 1792. Cette Lesbia Cedonia, à qui les lettres sont adressées, était Mme  Guardo Grismondi ; et le Diodoro Delfico n’est autre que le Père Bettinelli lui-même. On sait qu’en Italie tous les membres de l’Académie des Arcades, hommes et femmes, prenaient ainsi des noms grecs, sous lesquels ils se déguisaient dans leurs écrits.

Je m’arrêterai peu sur ce qui fait l’objet particulier de ces lettres, sur la nature et le style des épigrammes… Cette discussion n’est pas l’objet de ce petit écrit ; je passe à la partie des lettres de Bettinelli qui a attiré mon attention.

Il assure que la fureur des épigrammes était telle à Paris, dans le temps qu’il y séjourna, que lui-même il fut l’objet de plusieurs épigrammes et chansons qui coururent alors. « J’avoue, ajoute-t-il, que ma vanité en fut médiocrement flattée ; et je pris le parti, pour me dérober à ce genre, de regagner la frontière et d’aller faire visite à Voltaire, qui m’y avait invité. »

  1. Ce récit est d’autant plus intéressant que, fait d’après les Lettres de Bettinelli lui-même, il a pour auteur Suard, l’admirateur de Voltaire. Il parut dans ses Mélanges de littérature, Paris, 1803, tome I, page 17, sous ce titre : De Voltaire et du poète italien Bettinelli.
  2. Xaverio Bettinelli, né à Mantoue en 1718, mort en 1808. Élevé chez les jésuites, et d’abord professeur, il visita, en 1757, la France avec l’aîné des fils du prince de Hohenlolhe. Il arriva aux Délices vers le 20 novembre 1758.
  3. Lettere à Lesbia Cedonia sopra gli epigrammati del Diodoro Delfico. Ces lettres se trouvent dans ses Opere, Venezia, 1801, tome XXI.