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COMMENTAIRE


écrivit une lettre anonyme que j’ai entre les mains ; elle lui proposait très-sérieusement de marier la fille de Fréron, puisqu’il avait marié la descendante de Corneille. Elle l’en conjurait avec beaucoup d’instance ; et elle lui indiquait le curé de la Madeleine à Paris, auquel il devait s’adresser pour cette affaire. M. de Voltaire me dit : « Si Fréron a fait le Cid, Cinna et Polyeucte, je marierai sa fille sans difficulté. »

Il ne recevait pas toujours des lettres anonymes. Un M. Clément lui en adressait plusieurs au bas desquelles il mettait son nom[1]. Ce Clément, maître de quartier dans un collége de Dijon, et qui se donnait pour maître dans l’art de raisonner et dans l’art d’écrire, était venu à Paris vivre d’un métier qu’on peut faire sans apprentissage. Il se fit folliculaire. M. l’abbé de Voisenon écrivit : Zoïle genuit Mævium, Mævius genuit Guyot-Desfontaines, Guyot autem genuit Freron, Freron autem genuit Clement ; et voilà comme on dégénère dans les grandes maisons. Ce M. Clément avait attaqué le marquis de Saint-Lambert, M. Delille, et plusieurs autres membres de l’Académie, avec une véhémence que n’ont pas les plaideurs les plus acharnés quand il s’agit de toute leur fortune. De quoi s’agissait-il ? De quelques vers. Cela ressemble au docteur de Molière, qui écume de colère de ce qu’on a dit forme de chapeau, et non pas figure de chapeau. Voici ce que M. de Voltaire en écrivit à M. l’abbé de Voisenon[2] :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il est bien vrai que l’on m’annonce

Les lettres de maître Clément.
Il a beau m’écrire souvent,
Il n’obtiendra point de réponse.
Je ne serai pas assez sot
Pour m’embarquer dans ces querelles.
Si c’eût été Clément Marot,
Il aurait eu de mes nouvelles.

Mais pour M. Clément tout court, qui, dans un volume beaucoup plus gros que la Henriade[3], me prouve que la Henriade ne

  1. Voyez quatre lettres de Clément, dans la Correspondance.
  2. Le passage rapporté ici est tout ce qui reste de cette lettre de Voltaire à Voisenon.
  3. Clément publia, en 1773, une Première lettre à M. de Voltaire, qui fut suivie de huit autres sous le titre de Seconde, Troisième, etc. C’est dans les septième et huitième, qui ont plus de 550 pages, qu’il critique la Henriade.