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HISTORIQUE.

Lorsqu’il était à Colmar, M. Vernet[1], Français réfugié, ministre de l’Évangile à Genève, et MM. Cramer, anciens citoyens de cette ville fameuse, lui écrivirent pour le prier d’y venir faire imprimer ses ouvrages. Les frères Cramer, qui étaient à la tête d’une librairie, obtinrent la préférence, et il la leur donna aux mêmes conditions qu’il l’avait donnée au sieur Schœpflin, c’est-à-dire très-gratuitement.

Il alla donc à Genève[2] avec sa nièce et M. Colini son ami, qui lui servait de secrétaire, et qui a été depuis celui de monseigneur l’électeur palatin et son bibliothécaire.

Il acheta une jolie maison de campagne à vie auprès de cette ville, dont les environs sont infiniment agréables, et où l’on jouit du plus bel aspect qui soit en Europe. Il en acheta une autre à Lausanne, et toutes les deux à condition qu’on lui rendrait une certaine somme quand il les quitterait. Ce fut la première fois, depuis Zuingle et Calvin, qu’un catholique romain eut des établissements dans ces cantons.

Il fit aussi l’acquisition de deux terres à une lieue de Genève, dans le pays de Gex : sa principale habitation fut à Ferney, dont il fit présent à Mme  Denis. C’était une seigneurie absolument franche et libre de tous droits envers le roi et de tout impôt depuis Henri IV. Il n’y en avait pas deux dans les autres provinces du royaume qui eussent de pareils priviléges. Le roi les lui conserva par brevet. Ce fut à M. le duc de Choiseul, le plus généreux et le plus magnanime des hommes, qu’il eut cette obligation, sans avoir l’honneur d’en être particulièrement connu.

Le petit pays de Gex n’était presque alors qu’un désert sauvage. Quatre-vingts charrues étaient à bas depuis la révocation de l’édit de Nantes ; des marais couvraient la moitié du pays, et y répandaient les infections et les maladies. La passion de notre auteur avait toujours été de s’établir dans un canton abandonné, pour le vivifier. Comme nous n’avançons rien que sur des preuves authentiques, nous nous bornerons à transcrire ici une de ses lettres à un évêque d’Annecy, dans le diocèse duquel Ferney est situé. Nous n’avons pu retrouver la date de la lettre ; mais elle doit être de 1759[3].

  1. Jacob Vernet.
  2. Il y arriva le 12 (et non le 22) décembre 1754 ; voyez la note, tome XXXVIII, page 298. La date du 12 est aussi celle que donne Wagnière dans ses Additions au Commentaire historique.
  3. Ici Voltaire donnait le premier alinéa de sa lettre à Biort, du 15 décembre 1758, qui est tout entière tome XXXIX, page 550.