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relever que quelques fautes de style. Enfin Mahomet parut à la Comédie-Française, le 29 août 1742, devant une brillante assemblée. Mais les protestations furent vives, et l’auteur, un peu à l’invitation du cardinal, crut devoir retirer son ouvrage après trois représentations. Le 22 août, en partant de Paris, il écrit à d’Argental : « Que dit M. de la Marche[1] de ses confrères de Paris qui ont instrumenté si pédantesquement contre mon prophète ? Que dira M. le cardinal de Tencin ? Que dira madame sa sœur de nos convulsionnaires en robe longue qui ne veulent pas qu’on joue le Fanatisme, comme on dit qu’un premier président ne voulait pas qu’on jouât Tartuffe ? Puisque me voilà la victime des jansénistes, je dédierai Mahomet au pape, et je compte être évêque in partibus inf‍idelium, attendu que c’est là mon véritable diocèse. »

On sait qu’il mit à exécution ce singulier projet, et qu’en flattant l’amour propre littéraire de Benoît XIV, il obtint la lettre papale qui est en tête de toutes les éditions de sa tragédie.

« Lambertini, dit M. G. Desnoiresterres, n’ignorait pas quel esprit était Voltaire, et il n’était pas dupe de ses protestations d’orthodoxie. En somme, ces avances de l’auteur des Lettres philosophiques ne pouvaient déplaire ; elles le condamnaient à plus de réserve : qui savait même si cet échange de bons procédés n’aurait pas d’action, sinon sur ses idées, du moins sur sa conduite ? On crut en France qu’en proclamant Mahomet une admirable tragédie, Benoît XIV était tombé dans un piège grossier, et il fut traité de pauvre homme par un clergé peu au fait de ces finesses italiennes. En réalité, c’était du savoir-vivre, de la bienveillance, un atticisme souriant… Benoit XIV n’avait cru qu’échanger des politesses avec le plus bel esprit de France. Mais Voltaire songeait à tirer le plus honnête profit d’un document qui était un argument triomphant à opposer aux attaques de ses ennemis. « Vraiment, écrivait-il à d’Argental (5 octobre 1745), les grâces célestes ne peuvent trop se répandre, et la lettre du saint-père est faite pour être publique. Il est bon, mon respectable ami, que les persécuteurs des gens de bien sachent que je suis couvert contre eux de l’étole du vicaire de Dieu. »

Mahomet n’en restait pas moins interdit en France ; mais, au milieu des querelles qui s’élevèrent entre le parlement et le clergé à quelques années de là, cette interdiction fut levée, et Mahomet fut repris à la scène le 30 septembre 1751, pendant que le poëte était à Berlin.

Ce fut Lekain qui joua le rôle de Séide. Lekain n’avait que vingt et un ans. Il en était encore à ses débuts difficiles ; mais il impressionna vivement la salle entière, et aida par la force de son jeu au succès définitif de la tragédie.

  1. Président au parlement de Bourgogne.