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488 DISSERTATION SUR LA TRAGÉDIE.

peu à peu les mœurs féroces et grossières de nos peuples septentrionaux, et auxquelles nous devons aujourd’hui notre politesse, nos délices et notre gloire.

C’est sous le grand Léon X que le théâtre grec renaquit, ainsi que l’éloquence. La Sophonisbe du célèbre prélat Trissino*, nonce du pape, est la première tragédie régulière que l’Europe ait vue après tant de siècles de barbarie, comme la Calandra^ du cardinal Bibiena avait été auparavant la première comédie dans l’Italie moderne.

Vous fûtes les premiers qui élevâtes de grands théâtres, et qui donnâtes au monde quelque idée de cette splendeur de l’ancienne Grèce, qui attirait les nations étrangères à ses solennités, et qui fut le modèle des peuples en tous les genres.

Si votre nation n’a pas toujours égalé les anciens dans le tragique, ce n’est pas que votre langue, harmonieuse, féconde, et flexible, ne soit propre à tous les sujets ; mais il y a grande apparence que les progrès que vous avez faits dans la musique ont nui enfin à ceux de la véritable tragédie. C’est un talent qui a fait tort à un autre.

Permettez que j’entre avec Votre Éminence dans une discussion littéraire. Quelques personnes, accoutumées au style des épîtres dédicatoires, s’étonneront que je me borne ici à comparer les modernes, au lieu de comparer les grands hommes de l’antiquité avec ceux de votre maison ; mais je parle à un savant, à un sage, à celui dont les lumières doivent m’éclairer, et dont j’ai l’honneur d’être le confrère dans la plus ancienne académie de l’Europe, dont les membres s’occupent souvent de semblables recherches ; je parle enfin à celui qui aime mieux me donner des instructions que de recevoir des éloges.

1. Trissino, que Voltaire appelle prélat dans plusieurs de ses ouvrages, qu’il intitulé archevêque (voyez dans le seizième des Articles extraits de la Gazette littéraire), et qu’il nomme même ailleurs archevêque de Bénévent^ Trissino ne fut iii prélat, ni archevêque, comme le dit Voltaire, dont Chamfort et Chénier ont répété la faute. Voltaire, dans la dédicace de sa Sophonisbe, .dit que le prélat Trissino composa sa tragédie par le conseil de l’archevêque de Bénévent, Ginguené remarqu^^ encore que Ton ne sait quel est rarchevêquo de Bénévent qui donna ce conseil. (B.)

% Ou plutôt la Calandria : voyez ce que Ginguené dit de cette pièce, dans son Histoire littéraire d’Italie^ tome VI, page 171.