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ACTE III, SCÈNE V.

bénassar

Tu ne braves, ingrat, que les larmes d’un père :
Tu laisses le poignard dans ce cœur déchiré ;
Tu pars, et cet assaut est encor différé.
La mer t’ouvre ses flots pour enlever ta proie :
Eh bien ! prends donc pitié ’des pleurs où je me noie ;
Prends pitié d’un vieillard trahi, déshonoré,
D’un père qui chérit un cœur dénaturé.
Je te crus vertueux, Ramire, autant que brave ;
Je corrigeai le sort qui te fit mon esclave :
Je te devais beaucoup, je t’en donnais le prix ;
J’allais avec les tiens te rendre à ton pays.
Le ciel sait si mon cœur abhorrait l’injustice
Qui voulait de ton sang le fatal sacrifice.
Ma fille a cru, sans doute, une indigne terreur ;
Et son aveuglement a causé son erreur.
Je t’adresse, cruel, une plainte impuissante :
Ton fol amour insulte à ma voix expirante.
Contre les passions que peut mon désespoir ?
Que veux-tu ? je me mets moi-même en ton pouvoir :
Accepte tous mes biens, je te les sacrifie ;
Rends-moi mon sang, rends-moi mon honneur et ma vie.
Tu ne me réponds rien, barbare !

ramire

Écoute-moi.
Tes trésors, tes bienfaits, ta fille, sont à toi.
Soit vertu, soit pitié, soit intérêt plus tendre,
Au péril de sa gloire elle osa nous défendre ;
Pour toi, de mille morts elle eût bravé les coups.
Elle adore son père, et le trahit pour nous ;
Et je crois la payer du plus noble salaire.
En la rendant aux mains d’un si vertueux père.

bénassar

Toi, Ramire ?

ramire

Zulime est un objet sacré
Que mes profanes yeux n’ont point déshonoré.
Tu coûtas plus de pleurs à son âme séduite
Que n’en coûte à tes yeux sa déplorable fuite.
Le temps fera le reste ; et tu verras un jour
Qu’il soutient la nature, et qu’il détruit l’amour :
Et si dans ton courroux je te croyais capable