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Euryclès

C'est un de ces mortels du sort abandonnés,
Nourris dans la bassesse, aux travaux condamnés ;
Un malheureux sans nom, si l'on croit l'apparence.

Mérope

N'importe, quel qu'il soit, qu'il vienne en ma présence ; 
Le témoin le plus vil et les moindres clartés
Nous montrent quelquefois de grandes vérités.
Peut-être j'en crois trop le trouble qui me presse ;
Mais ayez-en pitié, respectez ma faiblesse :
Mon coeur a tout à craindre, et rien à négliger. 
Qu'il vienne, je le veux, je veux l'interroger.

Euryclès

À Isménie.
Vous serez obéie. Allez, et qu'on l'amène ;
Qu'il paraisse à l'instant aux regards de la reine.

Mérope

Je sens que je vais prendre un inutile soin.
Mon désespoir m'aveugle ; il m'emporte trop loin :
Vous savez s'il est juste. On comble ma misère,
On détrône le fils, on outrage la mère.
Polyphonte, abusant de mon triste destin,
Ose enfin s'oublier jusqu'à m'offrir sa main.

Euryclès

Vos malheurs sont plus grands que vous ne pouvez croire. 
Je sais que cet hymen offense votre gloire ;
Mais je vois qu'on l'exige, et le sort irrité
Vous fait de cet opprobre une nécessité :
C'est un cruel parti ; mais c'est le seul peut-être
Qui pourrait conserver le trône à son vrai maître.
Tel est le sentiment des chefs et des soldats ;
Et l'on croit...

Mérope

Non ; mon fils ne le souffrirait pas ;
L'exil, où son enfance a langui condamnée,
Lui serait moins affreux que ce lâche hyménée.

Euryclès

Il le condamnerait, si, paisible en son rang, 
Il n'en croyait ici que les droits de son sang ;
Mais si par les malheurs son âme était instruite,
Sur ses vrais intérêts s'il réglait sa conduite,
De ses tristes amis s'il consultait la voix,