Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour un meurtre effroyable a réservé mes mains.
Je ne le sais que trop que mon doute est un crime,
Qu’un prêtre sans remords égorge sa victime,
Que par la voix du ciel Zopire est condamné,
Qu’à soutenir ma loi j’étais prédestiné.
Mahomet s’expliquait, il a fallu me taire ;
Et, tout fier de servir la céleste colère,
Sur l’ennemi de Dieu je portais le trépas :
Un autre dieu, peut-être, a retenu mon bras.
Du moins, lorsque j’ai vu ce malheureux Zopire,
De ma religion j’ai senti moins l’empire.
Vainement mon devoir au meurtre m’appelait ;
À mon cœur éperdu l’humanité parlait.
Mais avec quel courroux, avec quelle tendresse,
Mahomet de mes sens accuse la faiblesse !
Avec quelle grandeur, et quelle autorité,
Sa voix vient d’endurcir ma sensibilité !
Que la religion est terrible et puissante !
J’ai senti la fureur en mon cœur renaissante ;
Palmire, je suis faible, et du meurtre effrayé ;
De ces saintes fureurs je passe à la pitié ;
De sentiments confus une foule m’assiège :
Je crains d’être barbare, ou d’être sacrilège.
Je ne me sens point fait pour être un assassin.
Mais quoi ! Dieu me l’ordonne, et j’ai promis ma main ;
J’en verse encor des pleurs de douleur et de rage.
Vous me voyez, Palmire, en proie à cet orage,
Nageant dans le reflux des contrariétés,
Qui pousse et qui retient mes faibles volontés :
C’est à vous de fixer mes fureurs incertaines :
Nos cœurs sont réunis par les plus fortes chaînes ;
Mais, sans ce sacrifice à mes mains imposé,
Le nœud qui nous unit est à jamais brisé ;
Ce n’est qu’à ce seul prix que j’obtiendrai Palmire.

Palmire.

Je suis le prix du sang du malheureux Zopire !

Séide.

Le ciel et Mahomet ainsi l’ont arrêté.

Palmire.

L’amour est-il donc fait pour tant de cruauté ?

Séide.

Ce n’est qu’au meurtrier que Mahomet te donne.