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Mahomet.

Faites ce qu’il ordonne, il n’est point d’autre honneur.
De ses décrets divins aveugle exécuteur,
Adorez et frappez ; vos mains seront armées
Par l’ange de la mort, et le dieu des armées.

Séide.

Parlez : quels ennemis vous faut-il immoler ?
Quel tyran faut-il perdre ? et quel sang doit couler ?

Mahomet.

Le sang du meurtrier que Mahomet abhorre,
Qui nous persécuta, qui nous poursuit encore,
Qui combattit mon dieu, qui massacra mon fils ;
Le sang du plus cruel de tous nos ennemis,
De Zopire.

Séide.

De Zopire.De lui ! quoi ! mon bras…

Mahomet.

De Zopire. De lui ! quoi ! mon bras…Téméraire,
On devient sacrilège alors qu’on délibère.
Loin de moi les mortels assez audacieux
Pour juger par eux-mêmes, et pour voir par leurs yeux !
Quiconque ose penser n’est pas né pour me croire.
Obéir en silence est votre seule gloire.
Savez-vous qui je suis ? Savez-vous en quels lieux
Ma voix vous a chargé des volontés des cieux ?
Si malgré ses erreurs et son idolâtrie,
Des peuples d’orient la Mecque est la patrie ;
Si ce temple du monde est promis à ma loi ;
Si Dieu m’en a créé le pontife et le roi ;
Si la Mecque est sacrée, en savez-vous la cause ?
Ibrahim y naquit, et sa cendre y repose[1] :
Ibrahim, dont le bras, docile à l’éternel,
Traîna son fils unique aux marches de l’autel,
Étouffant pour son dieu les cris de la nature.
Et quand ce dieu par vous veut venger son injure,
Quand je demande un sang à lui seul adressé,

  1. Les musulmans croyaient avoir à la Mecque le tombeau d’Abraham. Le sacrifice d’Isaac est le premier assassinat ordonné par Dieu, dans nos livres. On se contenta de la bonne volonté pour cette seule fois ; mais c’était le premier pas, et cette tradition, une fois établie, donna aux fanatiques un prétexte pour obtenir davantage. Ils savaient bien que lorsqu’ils auraient déterminé un furieux à lever le poignard, un ange ne viendrait pas lui arrêter le bras. (K.)