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Zopire.

Mahomet, je suis père, et je porte un cœur tendre.
Après quinze ans d’ennuis, retrouver mes enfants,
Les revoir, et mourir dans leurs embrassements,
C’est le premier des biens pour mon âme attendrie :
Mais s’il faut à ton culte asservir ma patrie,
Ou de ma propre main les immoler tous deux ;
Connais-moi, Mahomet, mon choix n’est pas douteux.
Adieu.

Mahomet, seul.

Adieu.Fier citoyen, vieillard inexorable,
Je serai plus que toi cruel, impitoyable[1].


Scène VI.

MAHOMET, OMAR.
Omar.

Mahomet, il faut l’être, ou nous sommes perdus :
les secrets des tyrans me sont déjà vendus.
Demain la trêve expire, et demain l’on t’arrête :
demain Zopire est maître, et fait tomber ta tête.
La moitié du sénat vient de te condamner ;
n’osant pas te combattre, on t’ose assassiner.
Ce meurtre d’un héros, ils le nomment supplice ;
et ce complot obscur, ils l’appellent justice.

Mahomet.

Ils sentiront la mienne ; ils verront ma fureur.
La persécution fit toujours ma grandeur :
Zopire périra.

Omar.

Zopire périra.Cette tête funeste,

  1. Cette scène « est conduite avec tant d’art, dit J.-J. Rousseau, que Mahomet, sans se démentir, sans rien perdre de la supériorité qui lui est propre, est pourtant éclipsé par le simple bon sens de Zopire. Il fallait un auteur qui sentît bien sa force pour oser mettre vis-a-vis l’un de l’autre deux pareils interlocuteurs. Je n’ai jamais ouï faire de cette scène en particulier tout l’éloge dont elle me paraît digne ; mais je n’en connais pas une au théâtre français, où la main d’un grand maître soit plus sensiblement empreinte, et où le sacré caractère de la vertu l’emporte plus sensiblement sur l’élévation du génie. » L’avis de Jean-Jacques n’est pas celui de M. Hipp. Lucas ; voyez son Histoire du Théâtre-Français. (G. A.)