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dit, et découvre le feuillage d’or qu’elle portait caché sous son voile. À cet aspect, tombe et s’éteint le bouillant courroux du vieillard. Le rameau brille, il suffit ; Caron s’incline devant la branche fatale, don vénérable, qu’il revoit après tant d’années ; puis détournant la sombre nef, il la pousse au rivage. Nombre d’âmes, assises le long des bancs, s’y pressaient en silence : il en écarte la foule ; et soudain le frêle esquif a reçu le grand Énée : la nacelle gémit sous le poids, et ses flancs mal unis boivent l’onde fangeuse. Enfin, parvenus sans obstacles à la rive opposée, la Sibylle et le fils d’Anchise descendent sur un limon impur, couvert d’algue et de noirs roseaux.

C’est là que l’énorme Cerbère fait retentir de son triple aboiement les livides royaumes ; Cerbère, hideux sentinelle, toujours veillant sous sa roche caverneuse. Déjà se dressaient les serpens qui sifflent sur sa tête : mais la prêtresse lui jette une pâte assoupissante, pétrie de pavots et de miel. Le monstre que la faim dévore, ouvrant à la fois ses trois gueules, engloutit la proie qui les tente. Soudain appesanti, son vaste corps chancelle, tombe, et de son immense étendue remplit son repaire immense. Énée franchit le passage dont le gardien sommeille ; et plus prompt que l’éclair, il s’éloigne du fleuve qu’on passe sans retour.

Tout à coup il entend des voix plaintives et des vagissemens confus. C’est un peuple d’enfans, dont les âmes pleurent dans cette première enceinte ;