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les débris de Pergame. Et toi, vénérable prêtresse, pour qui l’avenir est sans voile ! si l’empire que je réclame est promis à mon sang, fais que je fixe au Latium les rejetons de Teucer, et leurs pénates errans, et leurs dieux exilés. Mes mains reconnaissantes consacreront au dieu du jour, à la reine des nuits, un temple en marbre de Paros ; Apollon me devra des fêtes ennoblies par son nom. Toi-même, je te réserve en mes états de pieux tabernacles. J’y déposerai tes arrêts, et les pages fatidiques où sont inscrits les destins de ma race. Fille du ciel, ton culte aura ses pontifes. Mais, je t’en conjure, ne confie point tes oracles à des feuilles légères, jouets volages des vents rapides. Parle, ah ! parle toi-même. » Il dit, et se recueille.

Cependant rebelle encore, échevelée, terrible, la Sibylle se débat dans son antre : elle voudrait repousser de son sein le dieu puissant qui l’obsède. Lui, plus impérieux, il fatigue sa bouche écumante, dompte ses transports farouches, et, vainqueur, l’asservit toute entière. Aussitôt s’ouvrent d’elles-mêmes les cent portes immenses, et les voûtes émues répètent ces accens prophétiques.

« Hélas ! à peine échappé aux tourmentes de l’onde, la terre te prépare de plus affreux dangers. Oui, les neveux de Dardanus hériteront des champs de Lavinie ; tu peux calmer tes craintes. Mais ô triste, ô sanglant héritage ! Je vois des guerres, d’horribles guerres ; je vois le Thybre épouvanté rouler des flots de sang. Là t’attendent un nouveau Simoïs, un Xanthe nouveau, de nouveaux camps des Grecs.