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y cherchait encore les étoiles. Alors Morphée saisit un rameau abreuvé des eaux du Léthé, et que le Styx imprégna de ses vapeurs assoupissantes. Il en secoue sur Palinure la rosée léthargique : Palinure succombe, et ses yeux appesantis par le sommeil se ferment au même instant. À peine une langueur subite s’est-elle emparée de ses membres, que le dieu fond sur lui, et le précipite dans les flots avec la poupe en éclats, avec le gouvernail fracassé. Le pilote englouti roule au fond des gouffres humides, et ses compagnons qu’il implore n’entendent point ses cris répétés. Aussitôt déployant ses ailes, Morphée, satisfait, s’envole, et disparaît dans le vague des airs.

Cependant la flotte n’en poursuit pas moins sur les mers sa route fortunée : sûre des faveurs de Neptune, elle sillonne sans effroi le périlleux abîme. Déjà, dans sa course rapide, elle approchait des bancs des Sirènes, écueils funestes, et blanchis des ossemens de tant de malheureux : déjà retentissait dans le lointain le sourd mugissement des rocs, sans cesse battus par les vagues écumantes. Soudain Énée se réveille ; il voit sa nef vagabonde errer sans pilote à la merci des flots : lui-même alors, il court la gouverner sur les eaux ténébreuses ; et poussant un profond soupir, le cœur navré du sort douloureux d’un ami : « Ô trop confiant Palinure, dit-il ! devais-tu croire aux promesses mensongères de l’onde et des étoiles ? Hélas ! tu vas languir sans sépulture sur un rivage ignoré ! »