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de la roche caverneuse. Elle s’ouvre : aussitôt l’essaim turbulent se précipite en foule de sa prison béante, et souffle au loin sur la terre le trouble et le ravage. L’ouragan fond sur les mers : l’Auster, l’Eurus, et les vents de l’Afrique, si féconds en orages, bouleversent l’Océan dans ses profonds abîmes, et roulent d’énormes vagues sur la plage écumante. Soudain se confondent et les cris des matelots et le sifflement des cordages. D’épaisses ténèbres ont dérobé le jour aux regards des Troyens : une nuit affreuse se répand sur les eaux : les cieux tonnent, l’air en feu brille de mille éclairs : tout présente aux nochers tremblans la mort prête à les frapper.

À cette horrible image, Énée frissonne, glacé d’effroi. Il gémit ; et les bras étendus vers la voûte céleste, il exhale en ces mots sa douleur : « Heureux, hélas ! heureux cent fois, ceux que le sort des batailles moissonna sous les yeux paternels, au pied des murs de la superbe Troie ! Ô le plus vaillant des Grecs, généreux fils de Tydée ! que n’ai-je succombé sous tes coups, dans les champs d’Ilion ! que n’ai-je expiré de ta main dans ces plaines, où le fier Hector tomba percé de la lance d’Achille ; où périt le grand Sarpedon ; où le Simoïs roule entassés dans ses ondes et les boucliers, et les casques, et les corps de tant de héros ! »

Comme il parlait ainsi, l’Aquilon siffle, la tempête frappe de front la voile, et soulève les flots jusqu’aux nues. La rame crie, et se rompt : la proue tremblante se détourne ; et son flanc reste en butte à la violence des eaux. Soudain les vagues s’enflent en liquides montagnes ; les uns pâlissent, suspendus au sommet